LE NOM DE LA ROSE de Jean-Jacques Annaud

Après une adaptation décevante au format sériel, Le Nom de la rose revient en salles sans tambour ni trompette (de l’Apocalypse), mais avec un petit lifting discret. Verdict ? Umberto Eco n’a toujours pas à rougir de la seule et unique adaptation cinématographique de sa production littéraire arachnéenne. 

Pourquoi donc revoir Le Nom de la rose en 2024 ? « La question mérite d’être répondue », arguerait un jeune entrepreneur assis sur le capot de sa BMW. Tout a été dit ou presque sur ce monument de cinéma césarisé, mais jamais épuisé par ses innombrables rediffusions. « Les livres parlent toujours d’autres livres, et chaque histoire raconte une histoire déjà racontée »,résume en substance Umberto Eco dans l’apostille de son roman publié en 1980. Et pour cause, le matériau d’origine et son adaptation cinématographique grouillent de ces impressions de déjà-vu, à condition d’enfiler ses binocles et d’en inspecter les coutures de près. L’intrigue, troussée par Eco puis tripatouillée par un quatuor de scénaristes – un ex-Inquisiteur repenti se lance sur les traces d’un « livre qui tue » ou « par lequel on tue » dans une abbaye bénédictine de Ligurie à l’aube du XIVe siècle –, s’enracine dans la tradition du roman de gare avec ses figures attendues. La pulp fiction en robe de bure se dilue au final dans un whodunit à la Conan Doyle, influence ouvertement revendiquée par l’auteur. Le plaisir jouissif du lecteur et du spectateur se loge peut-être dans les références assumées au genre, ici dépouillé jusqu’à l’os, entre clins d’œil ostentatoires et coups de coude complices. Les ratiocinations obsessionnelles de l’enquêteur en froc, Guillaume de Baskerville – campé par Sean Connery, James Bond décati – renvoient aux raisonnements tarabiscotés de Sherlock Holmes. Les trognes difformes des seconds couteaux évoquent en transparence les gueules burinées du polar hard boiled. La narration assurée en flashback par la voix d’un « pauvre pécheur chenu et vieilli comme le monde » fait écho à l’architecture des romans noirs désabusés de l’après-guerre… Jean-Jacques Annaud a diablement potassé son sujet.

L’enquête se corse 
Adapter à l’écran Le Nom de la rose, c’est aussi faire preuve d’une bonne dose d’humilité. Annaud s’empare d’une « histoire de livres », dixit Eco, truffée de citations latines ad nauseam et de jargonnages savants sur fond de querelles théologiques. Un calvaire christique quand on veut donner à voir ces temps obscurs où l’on se dispute sur la garde-robe du Saint-Sauveur. La Rose ne s’est pourtant pas flétrie en quarante ans. Impossible de ne pas claquer des dents en arpentant cette abbaye froide et humide perchée sur les cimes couperosées des Alpes italiennes. De ne pas s’arracher les cheveux en essayant de comprendre les baragouinages de Salvatore, moine simplet interprété par un Ron Perlman porcin (prétexte à un délicieux échange entre Sean Connery et son sidekick tonsuré, Christian Slater : « Maître, quelle langue parlait-il ? » / « Toutes… et aucune »). Ou de ne pas succomber au vertige en se perdant dans la bibliothèque labyrinthique au cœur de laquelle un Minotaure aveugle grignote l’objet de toutes les convoitises, un traité d’Aristote consacré à la comédie. Car il n’est question de rien d’autre que de savoir si Dieu s’accommode du rire à une époque où l’on chasse l’hérésiarque comme le perdreau. La grimace simiesque menace plus que jamais de dynamiter une Église divisée en son sein, alors que le spectre de la peste guette une société en pleine débâcle économique. Sept cents ans et trois confinements plus tard, obscurantisme, inflation et pandémie mettent en péril un début de siècle « un peu pire » que les précédents, diagnostique Michel Houellebecq sur France Inter. La page Eco n’a pas été tournée. 


Chronique dans Sofilm n°101, en kiosque !