LE RAVISSEMENT de Iris Kaltenbäck

Présenté à la Semaine de la critique, le premier long-métrage d’Iris Kaltenbäck profite à plein de la présence d’une Hafsia Herzi parfaite en sage-femme dépassée par ses mensonges mais pâtit d’un scénario aux coutures trop apparentes.

Esmée : nom dérivé du latin esmeratus signifiant « qui est aimée ». Lydia (Hafsia Herzi) suggère ce prénom pour la fille de Salomé, sa meilleure amie qui vient d’accoucher. Proposition retenue. De toute façon, la jeune maman et son compagnon n’avaient pas vraiment arrêté leur choix sur la question. Et voici comment, dès la venue au monde d’Esmée, Lydia imprime sa patte sur le nouveau-né, consciemment ou non. L’engrenage du Ravissement est lancé. Un rouage en entraînant un autre, la sage-femme va s’enfermer dans le mensonge pour faire croire (finit-elle par le croire elle-même ?) que ce bébé, c’est le sien. Lydia embarque dans cette spirale du bobard un chauffeur de bus d’origine serbe, Milos, rencontré une nuit d’errance nocturne. Au prix d’un test de paternité bidonné, elle le convainc du fait qu’Esmée est aussi sa fille.

Double vie

Pour son premier long-métrage, Iris Kaltenbäck a tiré parti de sa propre expérience, avec le bouleversement provoqué par la maternité de sa meilleure amie. Son inspiration, elle l’a également puisée dans un fait divers. Il y a d’ailleurs un peu du documentaire dans Le Ravissement. Entre autres lorsque la cinéaste pose sa caméra pour montrer le quotidien d’une maternité ou quand elle filme l’accouchement éprouvant de Salomé (Nina Meurisse), sans ménager son audience. Cette volonté de se confronter au réel tranche avec l’univers de faux-semblants bâti par Lydia. Les fondations sont coulées bien avant l’affabulation de la maternité. L’instigatrice de la tromperie est d’abord dupée par son petit ami, coupable d’une liaison sans lendemain. L’irruption de cette vérité marque d’emblée le début d’une fuite pour Lydia. Incapable de remettre les pieds dans l’appartement où s’est fait l’aveu, la jeune femme préfère passer les nuits à se soustraire au monde, trimballée par les bus, traînant d’une séance de cinéma à une autre. Au vagabondage solitaire s’ajoute une peur de l’abandon. Pourquoi Lydia, après avoir jeté un coup d’œil au test de grossesse de Salomé, commence-t-elle par mentir en annonçant qu’elle n’est pas enceinte ? Est-ce vraiment un test pour jauger le désir d’enfant de sa copine, comme elle l’assure ? On devine davantage derrière le souhait que rien ne vienne chambouler leur amitié un moyen de conjurer ce qui risque d’advenir : l’accaparement de Salomé par son futur bébé. Les accès de dépression post-partum de la maman ne rendront finalement Lydia que plus indispensable. Des sollicitations bienvenues pour parfaire les apparences d’une double vie menée au prix d’une angoisse constante et d’un épuisement certain qui s’affichent en majesté sur le visage et les paupières d’Hafsia Herzi. L’aisance, le naturel de l’actrice dans ce registre suffisent à nous embarquer dans le mécanisme du film, empêtré sinon dans une belle pelote de grosses ficelles scénaristiques. Tout un éventail de coïncidences, de rencontres fortuites, de hasards calendaires sont nécessaires pour que le mensonge de Lydia puisse être avalé par Milos (un Alexis Manenti taiseux, sur la retenue) et, au passage, par le spectateur. Des facilités doublées d’un choix malheureux, celui d’avoir recours à une voix off parfaitement dispensable car se contentant de surligner les scènes sans jamais aller au-delà de ce qui se joue à l’écran. Le Ravissement n’en aurait été que plus réussi avec son enlèvement.

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