L’EGLISE AU SECOURS D’HOLLYWOOD

– L’EGLISE AU SECOURS D’HOLLYWOOD –

En perte de vitesse, les studios s’en remettent au bon Dieu. Des boîtes de com’ spécialisées dans le public religieux vendent du blockbuster en guise de sermon.
Juin 2013, Harvest Church, Bakersfield, Californie. Une petite église aux lumières blafardes, aux poutres apparentes, aux murs en préfabriqué. Les fidèles sont venus nombreux en cette fête des pères. Pasteur Kurt, un gaillard chauve, entame depuis son pupitre le prêche du jour : « Je fais souvent des sermons le jour de la fête des pères, mais aujourd’hui je voulais faire quelque chose de différent. Je vais vous parler de Supermen, Amen. » Rires dans la salle. Pasteur Kurt continue : « Moi, j’adore les films de super héros. Il y a quelques semaines, on voulait aller voir un film avec ma famille. Mes enfants me demandent ‘’Papa, qu’est-ce que t’as envie d’aller voir ?’’ Moi je leur dis : ‘’Je veux voir un film avec plein d’explosions. Rien de mieux qu’une bonne explosion pour accompagner un bon gros seau de pop-corn’’ ». Nouveaux rires. Pasteur Kurt conclut son préambule : « En fait, j’aime surtout Superman. J’ai vu les publicités autour de Man of Steel récemment, j’ai lu des choses… et je me suis dit que Jésus était le vrai super héros. » « That’s right, Amen ! » scande la salle, enthousiaste.
 
Pasteur Kurt n’est pas le seul à s’être fait cette brillante réflexion. Comme lui, ils sont des centaines à travers le pays à faire partie intégrante d’une stratégie mise en place par la Warner pour cibler le public religieux. À l’occasion de la sortie de Man of Steel, le studio s’est ainsi attaché les conseils d’une agence spécialisée dans le marketing religieux, Grace Hill Media, et d’un homme, le professeur Craig Detweiler, auteur du sermon au nom évocateur « Jesus the original super hero ». Craig, un faux air de Martin Sheen, rappelle que l’église s’est toujours sentie concernée par ce qui se passait à Hollywood : « J’ai retrouvé des sermons qui dataient de 1911-1916 qui affirmaient que le cinéma était quelque chose de merveilleux, un super moyen de parler de la Vérité éternelle. Chaque église avait alors son propre projecteur. Pendant les vingt premières années de l’existence du cinéma, les pasteurs étaient très enthousiastes. Puis, dans les années 1920-1930, lorsque les films sont devenus plus populaires et se sont quelque peu dévoyés, les pasteurs se sont retournés contre Hollywood. Souvenez-vous que l’un des livres les plus populaires des années 20 fût Les Péchés d’Hollywood. Et c’est devenu l’Église vs Hollywood. Même s’il ne faut pas oublier que l’âge d’or d’Hollywood a commencé lorsqu’a été instauré le code Hays (un code de censure régissant la production des films, ndlr), qui a été écrit par un prêtre. Aujourd’hui, mon rôle est de rappeler à Hollywood ses racines religieuses et d’aider le public religieux à redécouvrir le pouvoir des films. »
C’est donc pour se souvenir du bon vieux temps et surtout parce qu’ils ont senti le bon filon que les studios se sont lancés, il y a quelques années, à l’assaut de ces spectateurs encore trop peu courtisés à leur goût. « Nous aidons les studios à toucher un public qu’ils ne connaissent pas, celui du “Middle America’’, celui que se trouve entre New York et Los Angeles, et je peux vous dire que ça en fait du monde », précise Craig. Le tournant a lieu en 2009 avec la sortie de The Blind Side, film anecdotique sur le football américain. Directement édité en DVD en France, le film connaît un énorme succès outre-atlantique. À sa sortie, il fait quasiment jeu égal avec Twilight II, mais au lieu de sombrer comme tout bon blockbuster, le film se maintient les semaines qui suivent. Les analystes imputent le succès au bouche à oreille. Le nanar devient le film sportif le plus lucratif de l’histoire du cinéma, devant la série des Rocky. Sandra Bullock récupère au passage un Oscar. Grace Hill Media, chargée de la promo auprès du public religieux, voit le nombre de ses clients gonfler. Et pourtant The Blind Side ne parlait ni de Jésus, ni de la Bible…
 
 
5000 pasteurs, 20 millions au box-office
Pour Craig, le travail est forcément plus facile si le film contient des éléments religieux mais, pas bégueule, il se frotte à tous les genres. Le CV de Grace Hill Media en témoigne. Certains films de son tableau de chasse étaient à prévoir – Walk the line, Le Monde de Narnia, Le Seigneur des Anneaux – et d’autres beaucoup moins, comme le documentaire autour du groupe U2, U2-3D, ou Ratatouille. Des sociétés concurrentes se sont spécialisées dans des films à plus petit budget comme Tree of Life ou À la merveille. Craig s’est chargé de L’Exorcisme d’Emily Rose, un collègue de Conjuring : Les dossiers Warren, deux films d’horreur. « Dans quasiment tous les films vous pouvez trouver des questions essentielles sur la vie et la mort, se justifie-t-il. Mais il y a des films où les parallèles avec Jésus sont difficiles à trouver, voire impossibles. Par exemple, ceux des super héros Marvel, qui sont trop humains. » Au point de refuser la promo si Marvel venait à la lui proposer ? « Quand même pas… Je ne refuse jamais. »


L’Église semble y trouver son compte. Plutôt que de l’ignorer, les pasteurs intègrent la pop culture dans leurs prêches. Selon Craig, « depuis vingt-cinq ans les églises se sont équipées en écrans géants, en systèmes hypermodernes. Il n’est pas rare de voir les pasteurs passer des extraits de Lost, du Seigneur des Anneaux, ou de Matrix. Surtout la scène où Néo doit choisir entre la pilule bleue et la pilule rouge. » Du marketing win-win en somme. Pour Man of Steel, ça a été un jeu d’enfant de cœur : « Les similitudes entre Superman et Jésus ou des thèmes bibliques étaient presque trop évidentes, vous ne pouviez pas les rater. » Dans son sermon, le professeur détaille sur une dizaine de pages les parallèles : l’arrivée mystérieuse du super héros sur la Terre, sa nature quasi divine, son adoption par des Terriens, le sacrifice auquel consent Superman pour sauver l’humanité, un passage dans une église et bien entendu le « S » de Superman qui tout comme la croix de Jésus est un symbole d’espoir pour l’humanité ! Une évidence donc. Des divergences tout de même ? La seule vraie différence est l’emploi de la violence par Superman à laquelle Jésus n’aurait jamais consenti. En plus du sermon, les pasteurs pouvaient trouver des extraits, une bande-annonce et autres goodies sur un site dédié. Des projections avaient aussi spécialement été organisées à leur intention.
« Je fais souvent des sermons le jour de la fête des pères, mais aujourd’hui je voulais faire quelque chose de différent. Je vais vous parler de Supermen, Amen. » 
Pasteur Kurt

Et la recette marche. Le sermon a été téléchargé des milliers de fois. Au fil du temps, Grace Hill Media a réussi à rassembler un noyau dur de 3 à 5000 pasteurs qui les soutiennent à tous les coups. Certains d’entre eux sont très influents, avec plusieurs milliers de fidèles qui les suivent. Selon Craig, le business représente au final entre 15 et 20 millions de dollars au box-office. Et les studios recourent de plus en plus souvent à ses services. Naturellement, cette tendance s’explique aussi par des particularités nationales… « Beaucoup de films de super héros se finissent par la destruction du monde et on n’y voit jamais personne s’arrêter pour faire une prière, personne ne dit jamais “au mon Dieu, j’ai peur, sauve-nous !’’ et je pense que pour le public américain, c’est ça qui n’est pas réaliste. Si quelque chose comme ça arrivait, il y aurait sans aucun doute des gens pour s’arrêter et prier. » Craig réfléchit et reprend : « Le producteur de Spiderman III m’a appelé après le film pour me remercier pour le guide que j’avais écrit autour du film. Pour la première fois, sa mère qui habite dans l’Iowa, dans cette Amérique profonde donc, et qui avait lu mon guide, avait aimé un film qu’il avait fait. » Prochaine mission pour Craig : Noé de Aronofsky avec Russel Crowe. Amen. – Dimitri Kourtchine