L’ÉQUIPIER de Kieron J. Walsh

Filmer des gens à vélo est une chose, filmer la compétition cycliste en est une autre. Pour L’Équipier, son premier longmétrage, l’Irlandais Kieron J. Walsh réussit ainsi à écrire son nom sur une page blanche que personne n’avait vraiment réussi à noircir. À savoir, traduire en expérience de cinéma un sport souvent réduit à son expression la plus minimaliste.  

Le foot, c’est 22 bipèdes qui courent derrière un ballon pendant 90 minutes, le cyclisme c’est des mecs qui pédalent pendant toute une après-midi. « J’ai gardé à l’esprit le fait que la plupart des gens n’avaient rien à faire de ce sport », commente le réalisateur, lui-même pas un converti de la première heure. À tel point que lorsque la caravane du Tour de France se gare près de chez lui en 1998, il ne ressent pas la nécessité de s’exciter outre mesure : « Je vivais dans un endroit où l’on regardait un peu le Tour de France de haut. Et je me souviens avoir dû bouger ma voiture, je ne pouvais plus me garer. J’ai demandé pourquoi. On m’a dit que le Tour de France arrivait… » Pas un game-changer de nature à entamer une carrière sur un deux-roues, mais un déclic lui donnant envie de creuser le sujet : « Le cyclisme ne m’intéressait pas, et ça a changé au fur et à mesure de mes recherches. Je pensais qu’il s’agissait simplement de l’homme le plus rapide sur un vélo, mais ce n’est pas le cas. C’est un travail d’équipe sophistiqué, et je voulais expliquer ça aux spectateurs. ».Pour nous plonger dans les coulisses de ce qu’il qualifie de « sport individuel en équipe », L’Équipier revient là où tout a commencé pour le cinéaste. En 1998, la Grande Boucle expatrie son coup d’envoi à Dublin. Il s’agit aussi du dernier Tour de Dom Chabol, coureur exceptionnel et reconnu comme tel, mais qui n’a jamais porté le maillot jaune en 20 ans de carrière. 

Side-kick 
Et pour cause, Dom est « l’équipier » : celui qui réunit les conditions pour permettre au leader de franchir le premier la ligne d’arrivée. « Les équipiers ne retirent aucune gloire, et peu d’argent. J’ai pensé que sacrifier sa vie comme ça était très intéressant. ». Bref, « tout ça pour quoi ? » : la question est posée sans perdre de temps, alors que le héros de l’ombre s’échine sur un vélo d’appartement pour augmenter la cadence des battements de son cœur fatigué par l’effort perpétuel. « C’est le sport le plus punitif du monde. Pire que de grimper le mont Everest. ». Le réalisateur sculpte une icône de douleur pour laquelle le spectateur ne se sent, pour autant, pas désolé une seconde. Walsh nous place immédiatement aux côtés de ces Sisyphe qui s’administrent joyeusement des adjuvants pour remonter la pente : « Quand tu vois ce qu’ils endurent physiquement, tu comprends pourquoi ils prennent des drogues. ». 1998, c’est aussi l’année du scandale Festina, mais pas de regard moralisateur ici : contrairement à The Program, le film de Stephen Frears sur Lance Armstrong, la fin justifie les moyens et le « quoi qu’il en coûte » fait partie du contrat. Y compris (voire surtout) dans les scènes de courses filmées comme un sport de combat : « Une chose qui m’a surpris, c’est à quel point c’était physique. Quand tu cours au milieu d’un peloton, ils se poussent, ils essaient de se garder de l’espace… C’est un endroit très dangereux dans lequel évoluer.». Dopage en bande organisée, sens du contact testostéroné entre gladiateurs du guidon, champ de bataille sur deux roues…  On n’est pas très loin du football américain filmé par Oliver Stone dans L’Enfer du dimanche. Borderline peut-être, addictif assurément, grisant sans aucun doute. Comme de suivre un groupe de rock en tournée et de s’enivrer de leurs excès. Ride and Die plus que Ride or Die : on signe des deux mains.