LES MEUTES de Kamal Lazraq

Prix du jury « Un Certain regard » à Cannes cette année, Les Meutes (en salles ce 19 juillet) est un polar aux allures de fable. On y suit Hassan, un homme de main malchanceux qui doit se débarrasser d’un cadavre avec l’aide de son fils. Le film plonge en apnée dans la nuit marocaine. De galère en galère, le duo croise une galerie de personnages tantôt inquiétants, tantôt loufoques. Une Odyssée macabre tendue par une grande question : qu’est-ce que c’est, être un homme ? 

Le film s’ouvre sur un face-à-face. D’un côté, un chien agonisant. De l’autre, un molosse tout en muscles dopés, campé bien droit sur ses pattes imposantes. On frappe la dépouille du cabot au seuil de la mort. Son propriétaire se venge, la situation dérape. Et voilà comment le pauvre Hassan, malfrat de bas étage, se retrouve chargé de faire disparaitre le cadavre d’un homme qui n’en finit pas de prendre toute la place. Mais à maltraiter les chiens, on termine rongé par eux. Ce rapport de force physique très concret, Les Meutes va peu à peu le faire basculer dans un affrontement moral. Le récit opère en effet une patiente déconstruction. D’un monde régi par la masculinité viriliste, on glisse vers l’humanisme. Comment rester humain dans un environnement irrigué par la violence ? C’est tout l’enjeu du héros et son fils, issus d’un même milieu. Celui de « la bricole » comme disent les Marocains. Où il faut être prêt à tout, sans avoir rien à perdre. Cette bricole, le père Hassan semble y avoir passé des années. Il est superstitieux, lâche, roublard. Il a perdu tout bon sens, à force de se faire trimballer d’une embrouille à l’autre. À l’inverse, le fils Issam est encore innocent. Honnête et intelligent, il cherche à rester fidèle à ses valeurs. Cependant, Les Meutes orchestre un renversement salutaire de l’autorité entre les deux personnages. Lassé des faiblesses du père, Issam prend le relais et décide de régler la situation au péril de sa vie.

Les meutes (2023)

Mean Streets
Ce changement opère comme un détonateur pour Hassan. S’il veut surmonter les épreuves de cette longue nuit, il va devoir trouver une forme de rédemption. Ce qu’on refuse si souvent aux personnages de Scorsese, le réalisateur Kamal Lazraq va l’accorder comme une grâce. Le salut du père est d’autant plus touchant qu’il passe non seulement par un rapport à la foi restauré, mais par un amour profond pour son enfant. Tout le rapport au corps, qu’il soit vivant ou mort, est au cœur de l’intrigue et de l’intimité des personnages. Et sous la chair, il y a l’âme. C’est un cheminement éthique que va devoir emprunter Hassan. On pourrait presque parler de métamorphose, tant son rapport au macchabée évolue du début à la fin du récit. La force du film de Lazraq est de tisser son récit entre l’intimité familiale et les enjeux d’une communauté. La rue aussi est animale. Elle respire, et son souffle est modelé par les caïds qui y dictent leur loi. Pour se laisser porter vers un air plus pur et sacré, Hassan s’impose enfin face à son supérieur. Le père refuse de se compromettre en commettant un nouveau sacrilège. Peu importe, un autre agira à sa place. Mais lui et son fils seront sauvés. Les mains sales jusqu’au coude, il s’agit désormais de les laver tandis que le soleil se lève à nouveau.