LES PIRES de Lise Akoka et Romane Gueret

Premier long français présenté à Cannes (section Un Certain Regard) cette année, Les Pires est une immersion renversante sur le tournage d’un film dans le film, à Boulogne-sur-Mer. L’une des séances les plus fortes du festival.

À quoi joue le cinéma quand il se nourrit de vies réelles ? C’est l’un des enjeux du premier long métrage de Lise Akoka et Romane Guéret, qui poursuivent le travail initié sur Chasse royale, un court métrage multi primé. Les Pires démarre sur un casting : la caméra vidéo nous place dans la position d’un réalisateur et de son assistante qui sélectionnent les interprètes principaux du film qu’ils s’apprêtent à tourner. Ici, au cœur de la cité Picasso, tout est fiction, bien qu’évidemment la sensation illusoire d’assister au tournage d’un « vrai » film est un carburant du plaisir de spectateur. Avec beaucoup de finesse, le tandem Akoka-Guéret dirige des acteurs non professionnels, cumulant l’interprétation d’un personnage et d’un rôle à jouer. Les comédiens qui incarnent Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont tous époustouflants. La puissance et la véracité atteintes provoquent le même ébahissement que celui ressenti devant Petite Nature, la mise en abyme en plus. Qu’ils jouent entre eux ou leur rôle du film dans le film, ils épatent et surpassent même les comédiens professionnels qui les accompagnent.

Lâcher de colombes
Les deux réalisatrices sont conscientes des critiques inhérentes au territoire d’accueil du tournage, elles en ont vraisemblablement fait les frais sur leur précédent court-métrage, le multi primé Chasse Royale. Quelle est leur responsabilité vis-à-vis de la population locale, des familles, du regard porté sur cet univers, de l’image créée ? Tout au long du film, et surtout dans une scène de bar qui donne la parole aux habitantes, des dialogues pointent du doigt les écueils d’un tournage qui s’installe : places de parking occupées, enjeux de représentation d’un quartier dont on travaille la mixité sociale, et tout ce que ce tournage peut faire miroiter aux enfants, soudainement sortis du lot. On a rarement vu pareille réflexivité, exception faite du héros de Soy Libre, qui dans ses adresses à sa sœur réalisatrice pointait du doigt son instrumentalisation. Nommer les risques ne suffit certainement pas à échapper à tous les dangers, mais les choix sont conscients et assumés. Comment ne pas associer l’utilisation pour une scène clé de milliers de pigeons encagés, soudainement libérés, avec ces personnages dont on filme l’émancipation par le tournage ? Eux aussi devront bien vite reprendre leur place dans les carcans qui étaient les leurs. La passion des colombophiles, mobilisés pour un instant de grâce, semble une raison suffisante à la mise en place d’un tel dispositif. Il en va de même avec cette joie qui irrigue Les Pires, plaisir de semer le trouble et amour du jeu. C’est dans les duos que la jubilation est la plus grande : entre les jeunes Boulonnais (Lily et Jessy inventent l’histoire de leur couple fictif, Lily et Ryan dans un dialogue fraternel qui clôt les deux films) et entre les acteurs et l’équipe de tournage (Lily et l’assistante, Lily et le réalisateur). L’émotion est à son comble quand Lily confesse son amour pour Victor, l’ingé son. C’est un dialogue à table qui n’a, en cette fin d’année, d’égale intensité tragi-comique que l’échange entre Louis Garrel et Noémie Merlant dans L’Innocent, autre histoire qui dissimule l’endroit précis de la fiction. La présence incontournable de Mallory Wanecque, l’interprète de la jeune Lily, n’est pas un hasard. Si elle le désire, comme son personnage dans le film, espérons qu’elle ne cesse pas de jouer. Pour cela, on peut faire confiance à Lise Akoka et Romane Guéret, qui ont intégré à leur premier long-métrage Angélique Gernez, l’héroïne de Chasse Royale.

Nommer les risques ne suffit certainement pas à échapper à tous les dangers. Mais le film en est conscient, et assume ses choix. Comment ne pas associer l’utilisation pour une scène clé de milliers de pigeons encagés, soudainement libérés, avec ces personnages dont on filme l’émancipation par le tournage ? Eux aussi devront bien vite reprendre leur place dans les carcans qui étaient les leurs. La passion des colombophiles, mobilisés pour un instant de grâce, semble raison suffisante à la mise en place d’un tel dispositif. Il en va de même avec cette joie qui irrigue Les Pires, plaisir de semer le trouble et amour du jeu. C’est dans les duos que notre jubilation est la plus grande : entre les jeunes boulonnais (Lily et Jessy inventent l’histoire de leur couple fictif, Lily et Ryan dans un dialogue fraternel qui clôt les deux films) et entre les acteurs et l’équipe de tournage (Lily et l’assistante, Lily et le réalisateur). L’émotion est à son comble quand Lily confesse son amour pour Victor, l’ingé son. C’est un dialogue à table qui n’a, dans ce festival, d’égale intensité tragi-comique que l’échange entre Louis Garrel et Noémie Merlant dans L’Innocent, autre grande réussite cannoise. La présence commune à toutes les scènes citées de Mallory Wanecque, l’interprète de Lily, n’est pas un hasard. Si elle le désire, comme son personnage dans le film, espérons qu’elle ne cesse pas de jouer. Pour cela, on peut faire confiance à Lise Akoka et Romane Gueret, qui ont intégré à leur premier long-métrage Angélique Gernez, l’héroïne de Chasse Royale. On souhaite le meilleur aux Pires, et à tous ses acteurs, personnages et habitants.