LIMBO de Soi Cheang

D’abord censuré puis promis à une sortie directement en VOD, pour enfin rafler le Grand Prix et celui de la critique au dernier Reims Polar Festival, Limbo continue de résister et sort bien en salles ce 12 juillet, redonnant au passage un peu du lustre d’antan au cinéma made in Hong Kong.

Octobre 2021, le parlement hongkongais, soumis à Pékin, renforce la loi permettant d’interdire toute œuvre filmée portant préjudice aux intérêts sécuritaires chinois. Une définition aussi floue qu’extensible, outil d’une propagande efficace ayant pour objectif de réécrire un destin national loin du passé anglais de l’archipel. Une censure s’appliquant aussi bien aux films à venir qu’à ceux déjà existants et qui semble sonner le glas d’un cinéma moribond. Troisième producteur de films après les géants Hollywood et Bollywood dans les années 90, Hong Kong vit, depuis la rétrocession de 1997, une lente mais certaine agonie entre crise économique, exil des réalisateurs, révolution des parapluies et différentes lois autoritaires et restrictives. Pourtant, le savoir-faire semble toujours là et quelques pépites émergent. Limbo en fait partie. 

Limbo (2021)

Tourné il y a maintenant six ans, sorti en 2021 dans les salles hongkongaises, interdit de diffusion en Chine, Limbo semble apercevoir la fin de son long chemin de croix. Pour amadouer la commission en charge de la censure, peut-être aurait-il fallu que la ville des John Woo, Johnnie To et autre Tsui Hark soit présentée de manière plus idyllique. Mais on discuterait alors aujourd’hui d’un film radicalement différent, car c’est bien là le cœur du sujet : montrer Hong Kong comme une déchetterie qui pullule à ciel ouvert, engloutissant toute la misère du monde pour la recracher avec brutalité et inhumanité. Une vision aux antipodes de celle de la ville aseptisée aux belles tours de verre et aux voitures luxueuses, vendue par le pouvoir chinois. Ici, Soi Cheang nous fait descendre dans un enfer jonché d’ordures au propre comme au figuré, peuplé de junkies désespérés, de dealers sadiques, de gangs minables et d’un tueur vicieux découpant les mains des femmes qu’il viole et assassine. Au milieu de cette crasse, deux flics : le rookie propret sûr de lui et le vétéran écrasé par un passé douloureux qui utilisent une voleuse de voiture comme appât.

Outre-noir
Pour traverser cet enfer, Soi Cheang ne se gêne pas et puise dans les films les plus glauques de sa cinéphilie. Le récit sans espoirs de Se7en, la narration aux flash-backs étrange de Following, l’urbanisme agressif et sale de Sin City, la crasse d’une mégalopole de PTU (qui partage le même scénariste), les mouvements de caméra et les cadrages audacieux des scènes d’action de Old Boy, l’asphyxie poisseuse de J’ai rencontré le diable… Le réalisateur qui avait déjà signé le très lugubre avec Dog Bite Dog continue de creuser dans le macabre avec ce polar ultra-violent, cru et sans concession. La force de Limbo réside dans cette ambiance visqueuse, sublimée par une photo en noir et blanc irréaliste, transformant Hong Kong en cauchemar de science-fiction. Initialement tourné en couleur, c’est au montage que le réalisateur a décidé de le passer en noir en blanc, afin de mieux harmoniser le fond et la forme, de mieux intégrer aux décors les personnages qui petit à petit ne font plus qu’un avec les montagnes d’ordures qui jonchent les bas-fonds de la ville.