LINDA VEUT DU POULET ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

Linda veut du poulet ! démarre par un objet perdu : une bague. Mais une fois retrouvée, c’est un poulet qui se substitue à l’anneau comme objet de toutes les convoitises. Autour de cette recherche, c’est tout un petit monde de couleurs qui s’agite.

Pour son deuxième long métrage d’animation, Sébastien Laudenbach s’est associé avec la réalisatrice Chiara Malta. Ils s’éloignent de l’univers du conte de La Jeune fille sans mains et ancrent leur histoire dans une petite cité, un jour de grève. Tous les commerces sont fermés, ce qui rend plus compliqué l’achat du fameux poulet. Mais surtout, tout est à l’arrêt et la mise en mouvement des personnages et des objets n’en est que plus perceptible. Après une longue installation, Linda veut du poulet ! régale par sa vitesse. Il aura fallu d’abord saisir les enjeux d’une punition injuste, l’esquisse des relations mère-fille de cette famille monoparentale, la déclaration d’une grève annoncée le jour de la leçon sur la Révolution française à l’école… Une fois l’environnement familial installé, les couleurs attribuées à chaque personnage, il est temps de partir en quête du volatile.

Chicken run

Impossible d’acheter un poulet car les magasins gardent portes closes ? Qu’à cela ne tienne, les poulets ne volent pas mais on peut voler un poulet. Paulette, la maman de Linda, a bien l’intention de tenir sa promesse : toute orange qu’elle est, elle s’immisce tel un renard dans le poulailler, la discrétion en moins. C’est là que le film met en branle sa mécanique comique : en réaction au vol de la volaille, s’engage une course-poursuite menée par un policier pataud. C’est donc un poulet poursuivant une femme qui poursuit un poulet. On revient aux fondamentaux du Guignol, où s’écharpent un gendarme et un voleur. Dans les spectacles de marionnettes, la bastonnade suscite l’intervention du public d’enfants, et l’arrivée d’un Guignol sauveur : ici c’est Jean-Michel, routier, transporteur de pastèques et… allergique aux plumes. À la voiture de Linda et sa maman, au vélo policier, s’ajoute désormais un camion. Les situations se déploient à toute berzingue, dans une grande fluidité visuelle et sonore. Au volant, Jean-Michel se révèle également mélomane, il écoute et fredonne l’ouverture de La gazza ladra de Rossini (en français, La Pie voleuse…). L’association du gag animé et de la musique classique évoque sans conteste la frénésie des cartoons. C’est dans cette filiation à Tex Avery que Linda veut du poulet ! déploie tout son potentiel humoristique. Le rythme effréné du récit retombe quelque peu lors de séquences chantonnées de comédie musicale mais Sébastien Laudenbach et Chiara Malta parviennent à explorer des teintes émotionnelles plus sombres. On a vanté le mouvement et la couleur, mais les passages de nuit, où seules quelques lignes découpent les décors et dessinent les personnages, sont somptueux. Il faut citer l’ouverture d’une porte, l’allumage d’une lumière et le rétrécissement des pupilles d’un chat, ou encore un trajet nocturne en voiture. Linda allongée à l’arrière, demande à sa mère si on est dans le noir quand on est mort. L’ombre légère du décès du père plane sur le film. On cherche une bague, un poulet, une fugitive, mais on cherche surtout un souvenir. Personne ne sait tuer un poulet, et Linda ne sait pas comment son papa est mort. Dès le générique d’ouverture, sa disparition nous a été racontée en quelques vignettes rondes. La mémoire apparaît et disparaît comme des bulles de savon. Linda veut du poulet se termine dans une grande liesse populaire, on y ridiculise gentiment la police à coups de pastèques et tous les habitants partagent un repas. On dirait le banquet final d’un tome d’Astérix. Mais une question posée par la jeune héroïne subsiste : « Ça a existé quand on se souvient pas ? » Sa réminiscence réveille nos propres oublis. Il y avait la madeleine de Proust, il y aura désormais le poulet de Linda.

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