LA LOI DE TEHERAN de Saeed Roustayi

Immense succès en Iran, La Loi de Téhéran (en salles le 28 juillet) s’est révélé la pépite du dernier Festival du film policier de Reims. Autant dire que ce thriller hard-boiled débarque dans nos contrées avec une sacrée réputation… amplement méritée.

Avec son titre original, Just 6,5, La Loi de Téhéran fait référence aux millions de toxicomanes en Iran, alors que l’addiction au crack a bouleversé le pays ces dernières années. Après avoir tenté de monter un documentaire sur le sujet, le réalisateur Saeed Roustayi (Life and a Day) a finalement mis à profit ses recherches dans une fiction qui, dès sa scène de poursuite introductive, rappelle les chefs-d’œuvre du polar de William Friedkin et leur sentiment d’urgence, filmés caméra à l’épaule. Or, à travers cette course labyrinthique, le cinéaste laisse deviner une maîtrise solide du travelling, principalement choisi pour filmer des mouvements de migration, comme lors de cette séquence tétanisante qui suit le raid de la police sur un squat de junkies, laissés pour compte dans les rues de la ville.

To Live and Die in Iran
D’abord focalisé sur le personnage de Samad (Payman Maadi, vu dans Une séparation), flic obsessionnel aux méthodes discutables, La Loi de Téhéran déplace petit à petit son point de vue pour se recentrer sur Nasser Khakzad (Navid Mohammadzadeh, révélé par Cas de conscience), le cerveau supposé d’un réseau de trafic, dont l’arrestation n’est que le point de départ d’un récit suffocant. Grâce au charisme incandescent de son duo d’acteurs, Saeed Roustayi organise un jeu du gendarme et du voleur ambigu, où la corruption et les béances du système judiciaire iranien amènent les rôles à devenir plus ou moins interchangeables. Ce pas de côté permet d’ailleurs au film de développer une arborescence passionnante autour de son sujet, afin de moins présenter la guerre anti-drogue comme une cause qu’une conséquence des problèmes plus larges de la société iranienne. Sans jamais excuser pour autant les actions de ses personnages, La Loi de Téhéran suggère un déterminisme social désespérant qui pousse certains à tout risquer pour sortir de la pauvreté, y compris la peine de mort. En partant toujours du visage concerné de ses personnages, même les plus secondaires, la mise en scène inspirée et poisseuse parvient à étendre les gros plans pour brosser un portrait fascinant de l’Iran d’aujourd’hui. Dans ce contexte, les protagonistes, persuadés d’être des acteurs du système, se révèlent des Don Quichotte modernes. De cette réflexion pessimiste sur les rouages de la machine, le réalisateur dépeint alors un autre mouvement, celui de la réification progressive de l’individu au travers de Nasser, embourbé dans un enfer administratif et parqué dans une cellule avec des dizaines d’autres criminels, en attendant que le jugement soit rendu. Dès lors, on ne s’étonnera pas trop que La Loi de Téhéran ait subi les foudres de la censure, imposant à Saeed Roustayi un combat de plusieurs mois pour l’obtention d’un permis de tournage sans avoir à modifier la sève de son script. Mais au vu de la richesse et de l’ambition de ce polar exemplaire, le jeu en valait la chandelle.