LOS DELINCUENTES de Rodrigo Moreno

Figure du nouveau cinéma argentin, Rodrigo Moreno fait cette année ses premiers pas à Cannes dans la sélection Un certain regard. Dans Los Delincuentes, buddy-movie et fable douce-amère, il imagine le destin de deux employés de banque qui décident de se servir dans la caisse pour ne plus jamais travailler. 

Comment se définit-on lorsque l’on rencontre quelqu’un pour la première fois ? Par notre métier, bien sûr. C’est l’évidence de la réponse qui angoisse viscéralement Román (Daniel Elias), employé de banque à Buenos Aires. Tous les matins, le quadragénaire enfile son costume trois pièces, prend son café, sa douche et son métro, et se poste derrière son guichet. Mais un jour, pas franchement différent des autres, c’en est trop. Le calcul est simple : son salaire multiplié par le nombre de mois qu’il lui reste jusqu’à sa retraite. Le tout fois deux, pour partager avec son collègue et désormais complice, le sérieux Morán (Esteban Bigliardi). C’est la somme qu’il pique dans le coffre de la banque. Pour lui, trois ans en prison ou encore vingt à la banque, le choix est vite fait. D’une seconde à l’autre, nos deux messieurs Tout-le-monde sont devenus : des délinquants. À partir de cette situation initiale, Rodrigo Moreno nous embarque dans une longue odyssée fragmentée, où les destins des alters egos Román et Morán se séparent, se croisent et s’entremêlent. Un peu mous, un peu gauches et un peu lâches, les apprentis bandits n’ont pas vraiment la gueule de l’emploi. Mais l’appel de la liberté était trop fort. 

Le réalisateur assume une position tranchée : partir du principe que le salariat et la routine nous aliènent. L’analogie travail/prison est plus que suggérée. Au point que l’acteur Germán De Silva joue à la fois le directeur de la banque et le trafiquant qui règne en terreur sur la maison d’arrêt. À la banque, les employés sont épiés, humiliés, exploités. Laura Paredes, très récemment à l’affiche du magnifique Trenque Lauquen de Laura Citarella, explore ici un tout autre registre en incarnant une détestable inspectrice qui a le licenciement et la crise de nerfs faciles. Et représente ici un capitalisme dont l’absurdité est poussée à son paroxysme. 

Droit à la paresse
Le film se construit sur l’opposition entre le travail et le loisir, la ville et la nature, l’asservissement et la liberté. Il entame, sur un ton aussi sérieux que léger, une réflexion particulièrement moderne, dans une période où s’enchaînent les débats sur l’allongement du temps de travail et la semaine de quatre jours. Comment trouver du sens à son existence si on en passe quarante ans derrière un bureau ? La question est un poncif, mais se pose peut-être plus que jamais. 

Rodrigo Moreno suggère que d’autres alternatives sont possibles. Mais ses personnages doivent en payer le prix. À coups de split screen et de jeux de symétrie, il nous fait vivre leurs calvaires et leurs solitudes parallèles dans leur recherche d’un “ailleurs” plus accueillant que l’impitoyable capitale. Pour autant, le récit se ponctue de délicieuses respirations, de séquences suspendues sur les rives d’une rivière ou sur la croupe d’un cheval, qui laissent croire que leur quête du bonheur n’est pas veine. Sorte de fable sans morale, Los Delincuentes invite à un voyage méditatif dont la destination reste incertaine. Une mise en scène léchée mais pas artificielle, un scénario souple mais jamais décousu, Rodrigo Moreno signe un long-métrage surprenant et délicat, qui donnerait presque envie de se laisser aller à l’oisiveté.