LOS REYES DEL MUNDO de Laura Mora

Pour son troisième longmétrage (en salles ce 29 mars), Laura Mora quitte les rues de la tentaculaire Medellín pour embarquer dans la jungle colombienne, avec une bande d’orphelins à la recherche de la Terre promise. 

« Dans l’histoire colombienne, on a raconté comment les gens des villages ont été déplacés. Au contraire, je voulais raconter une histoire de retour, de la recherche d’un endroit où on serait en sécurité. » Pour la cinéaste colombienne repartie avec le Grand Prix du Jury lors du dernier Festival de San Sebastían, la question des terres spoliées pendant la guerre civile devient ici le prétexte à un voyage poétique et tragique pour un groupe de gamins des rues de Medellín. Tous interprétés par des acteurs non professionnels, ces orphelins, qu’on jurerait sortis d’un film d’Harmony Korine, caressent l’espoir d’avoir enfin un chez-soi. Un rêve que Rá, le chef de la bande, peut enfin toucher du bout des doigts alors qu’une décision de l’État lui annonce la restitution de ses terres familiales. Durant la guerre, de nombreux paysans ont été chassés de leurs terres à la fois par les guérilleros et les paramilitaires. Un sujet brûlant dans la Colombie actuelle tant cette promesse de restitution des terres, faite aux quatre millions de déplacés par le président Juan Manuel Santos en 2011, est loin d’avoir été tenue. Représentatifs de cette génération sans foyer, ces jeunes acteurs sont tous impeccablement dirigés par la cinéaste. Âgés de 15 à 22 ans, chacun a son tempérament et ses aspirations, comme vient le souligner à intervalle régulier une voix off aux accents mélancoliques. Tout en rupture de ton, la réalisatrice opte pour une caméra à l’épaule pour filmer des scènes du quotidien pleines de naturalisme, avant d’alterner avec des plans plus larges lors des rares moments de grâce qui parsèment cette odyssée amère.  

Los reyes del mundo (2022)

Rois sans royaume
Bagarres à la machette, enlèvement par des éleveurs racistes ou encore lynchage par des villageois, voilà le genre de mésaventures qui surviennent dans le monde brutal que dépeint Laura Mora, quitte à verser parfois dans un certain nihilisme. Mais le récit ne bascule jamais dans le pathos et ménage aussi des respirations loin de la cruauté des hommes, notamment lors d’une scène surréaliste où les protagonistes trouvent refuge dans une maison close perdue dans la campagne. Là-bas, les femmes deviennent des mères de substitution le temps d’une danse pour ces gamins qui n’ont connu que la violence machiste. Tourné dans le Bajo Cauca, région à la fois belle et dangereuse, réputée pour ses nombreuses mines d’or, le film doit beaucoup à la photo sublime de David Gallego, le chef opérateur de Ciro Guerra (L’Étreinte du serpent). Chez Laura Mora la nature est toujours ambivalente : inquiétante avec sa cordillère constamment baignée dans la brume mais aussi terrain de jeu où les champs et leurs clôtures électriques ne sont jamais infranchissables. Car c’est avant tout l’ivresse de la liberté qui anime ces ados, comme lors de cette impressionnante descente à vélo le long d’une route sinueuse. Las d’être pourchassés, les exilés finiront par dresser un barrage enflammé, comme un défi au reste du monde et l’un des membres de la bande de rêver d’un «monde où les hommes seraient tous égaux, libres et sauvages».