Lou YE (AN UNFINISHED FILM) : « J’ai décidé de ne pas me soucier de la censure »

À Cannes, les films sur les films sont au goût du jour. Après Le Deuxième acte de Quentin Dupieux, voici An Unfinished film du réalisateur chinois Lou Ye. L’histoire ? En 2019, le cinéaste retrouve des rushs vieux de 10 ans d’un film qu’il n’a jamais terminé, faute de financement. Il décide d’achever le tournage en janvier 2020, date du début de la pandémie mondiale qui paralysera toute la planète. Lou Ye, face à l’impossibilité de réaliser le film prévu, décide de filmer ses équipes enfermées dans un hôtel. Le résultat est passionnant. L’interview de Lou Ye se déroule sur une plage cannoise. Il est installé sur un petit canapé blanc, face à la mer, lunettes noires, chemise noire, pantalon noir. Le vent souffle très fort. Par Alice de Brancion. Photos : Dransi.

Votre mise en scène efface totalement la distinction entre documentaire et fiction. On suit un réalisateur qui commence à vouloir faire un film sur un film et puis tout dun coup cest un film sur limpossibilité de faire ce film. Comment sest faite la bascule ? 

Il faut savoir que tout est vrai : en 2019, on a vraiment rallumé un ancien ordinateur et vraiment repêché d’anciens rushs. À ce moment-là, on a commencé à organiser les épreuves de tournage pour pouvoir terminer ce film. Et puis en 2020, la pandémie a éclaté et nous a complètement stoppés dans notre élan. Les choses sont allées très vite et à cet instant précis la réalité est devenue plus importante que le cinéma. Pendant neuf mois notre travail a été remis en question et le seul échange que l’on avait, c’était des échanges virtuels, ce qui nous a amené à modifier l’écriture du scénario. Après la première phase de la pandémie, on a pu commencer à travailler. On a commencé à tourner puis tout s’est arrêté de nouveau avec la seconde vague. 

Ces scènes de confinement ont donc été reconstituées. Vous n’étiez pas enfermé avec vos comédiens pendant cette période ? 

Effectivement, toute la partie du confinement dans l’hôtel est heureusement fictionnelle et reconstituée après. Mais il y a vraiment eu des équipes de tournage qui se sont retrouvées bloquées ensemble. On a reconstitué ce sentiment en tournant en huis clos total. Le film reflète donc l’ambiance des équipes de cinéma en Chine à ce moment précis de notre histoire.

Les acteurs que vous filmez dans An unfinished film sont les techniciens habituels de vos films. Par contre, vous ne jouez pas votre propre rôle. 

Je ne joue pas mon rôle pour deux raisons : je fais partie des gens qui considèrent que c’est impossible d’avoir deux casquettes à la fois ; et puis j’avais le désir de conserver une distance avec la réalité.

La distance est également représentée à travers les échanges qui ne se font plus que virtuellement. Les écrans de portable apparaissent de plus en plus fréquemment au fur et à mesure du film.

Ça fait des années que je réfléchis à insérer des écrans de portable dans mes films puisque c’est devenu le moyen de communication le plus courant. Jusqu’à maintenant je n’avais pas réussi mais pendant la pandémie, il était flagrant que c’était devenu un élément essentiel dans nos vies. Donc quand j’ai voulu évoquer cette période, je ne pouvais pas ne pas faire entrer cette réalité.

Photo : Dransi ; dransi.fr

Ce désir de réalité se voit également car vous insérez des vidéos de différentes plates-formes internet qui montrent ce à quoi ressemblait Shanghai vide, ou encore une vidéo montrant un enfant suivant une ambulance.  Ce sont des images que le public occidental n’a vues nulle part. Vous n’avez pas peur de la censure ? 

J’ai décidé de ne pas me soucier de la censure. Un de mes derniers films est resté retenu par la censure pendant deux ans, ça a été très éprouvant. Cette fois-ci, j’avais vraiment envie de faire un film sans en tenir compte. J’ai voulu revenir à quelque chose de beaucoup plus personnel, c’est d’ailleurs pour ça qu’à l’écran j’ai filmé mes proches collaborateurs historiques. Nous voulions nous concentrer sur ce qu’est la fabrication et la création d’un film et non pas passer notre temps à dialoguer avec la censure.

Quelles sont les règles de la censure en Chine ? 

C’est ça le gros problème : on ne nous donne jamais les règles. Je suis donc incapable de vous dire ce qui, précisément, pourrait tomber sous le coup de la censure dans ce film ou un autre.

Finalement vous n’avez pas terminé votre Unfinished film. Est-ce que vous comptez le faire ?

Oui je suis en même en train de le faire. J’ai mis 4 ans à réaliser et monter An Unfinished film, à une semaine du Festival de Cannes il n’était toujours pas complètement étalonné  Actuellement je travaille sur trois projets dont finir enfin le film commencé en 2009. J’espère que ces trois projets pourront aboutirent !  

An Unfinished film / Chroniques chinoises (Séance spéciale), prochainement.