LOULOUTE de Hubert Viel

À la croisée des âges et de plusieurs réalités, le nouvel ovni d’Hubert Viel (en salles le 18 août) surfe avec tendresse sur des eaux fantastico-naturalistes.

Lorsque la vie est marquée par des périodes de transition intense, il arrive que les mondes se superposent. C’est le cas pour Louise, confrontée à la vente imminente de la ferme familiale. Engloutie par le tumulte des émotions, elle s’endort parfois et perd le contrôle du présent dans l’évanouissement de sa conscience. Les mondes intérieurs se confondent avec les mondes passés, les espaces contemporains sont ensevelis et les lieux poussiéreux réactivés. Dans cette enfance rurale ensommeillée que Louise revisite, Louloute se réveille au gré de ses rêveries. Elle évolue à son rythme, erre en pyjama et chaussettes de tennis sales, se glisse dans un bain moussant qui n’est pas le sien ou enfile ses bottes à la va-vite avant de marquer la terre humide de ses pas. S’il arrive parfois que Louloute se lève aux aurores, c’est pour préparer le petit-déjeuner ; et dans une épique scène à la Tom-Tom et Nana, elle déverse le contenu du plateau sur la moquette de la chambre parentale.
Les couleurs de l’enfance sont ravivées par l’usage de la pellicule 16 mm, familière et frémissante, qui raccorde l’œil au cœur, comme elle noue passé et présent. Tout est question d’éveil et de réactivation, l’onirisme et la mythologie se mêlant au réel par la musique ou les songes de Louloute. Les objets fourmillent et les animaux aussi, jusqu’à prendre voix humaine. Miyazaki émerge des images par les bleus et les rouges vifs, les matières molles et le tohu-bohu généreux de la vie. Çà et là les livres des bibliothèques rose et verte, une couette aux motifs délavés, la vieille télé cathodique et l’ourson de la pub Cajoline.

Rêveries solitaires
Hubert Viel use dans un même plan de variations sur la profondeur de champ pour signaler un voyage dans le temps, ou un changement de paradigme dans la perception du monde de Louloute. C’est ainsi que l’anodine et joyeuse préparation d’une pâte à crêpes peut subitement basculer et la cassure d’une coquille d’œuf se révéler plus bouleversante que récréative. La conjugaison du réel et de la rêverie fonctionne à merveille, autant dans les mariages heureux que dans les déchirements. Lorsqu’un matin Louloute descend les escaliers, s’installe sur le canapé et interroge ses parents quant au sujet de leur dispute, son père lui expose sans ménagement la crise agricole qu’ils sont en train de traverser – c’est le paradoxe de l’enfance : se montrer d’une acuité et d’une sensibilité redoutables, vouloir tout comprendre, tout savoir, mais en payer le prix du réel tôt ou tard. Cette rêverie inverse l’équilibre des états, et définit toute la singularité de l’ancrage du film de Viel. Car si l’on définit la rêverie comme un état passager en regard d’une réalité, force est de constater ici qu’il s’agit bien pour Louloute de bonds dans le réel depuis la rêverie, et non l’inverse. Et parfois réveillée d’une sieste par la pluie sur la pelouse d’un parc, Louloute doit rendre son présent à Louise, enseignante attendue par des élèves dans une salle de classe.