LOVE LIFE de Kōji Fukada
Le stakhanoviste et raffiné Kōji Fukada revient avec Love Life (en salles ce 14 juin) et ce n’est pas pour s’endormir sur ses lauriers. Un mélodrame émouvant, une tragédie complexe… Son film le plus abouti à ce jour ?
Un couple qui s’aime, un enfant champion d’Othello (et oui), une vie de quartier rassurante où les gens prennent soin les uns des autres, un échange de tips entre voisins pour éloigner les pigeons… Kōji Fukada semble d’abord se faire plaisir en déroulant un récit contemplatif de classe moyenne japonaise – entre docu anthropologique à la Varda et naturalisme paisible rohmérien –, qu’il met en scène avec gourmandise lorsqu’il filme ces grandes barres modernes, jouant avec la lumière qui s’y reflète, avec sa symétrie et ses formes, montrant au passage l’étendue de son savoir-faire quand il tient une caméra. On sent bien que le bonheur affiché à l’écran n’est pas aussi parfait, que les tensions entre le beau-père et sa bru peuvent éclater à tout moment, que les sans-abri du parc et les jeunes cadres pleins d’avenir peuvent en venir facilement aux mains, qu’une ancienne liaison amoureuse ne demande qu’à ressurgir. Et effectivement, un drame inattendu ne tarde pas à faire imploser cet équilibre fragile. Nos cinéphilies intimes sont jalonnées de scènes bouleversantes qui nous marquent à tout jamais. On peut citer le final sadique du Grand Silence, la rencontre entre un pilonne et une adolescente dans Hérédité, le sniper embusqué de Sympathie pour le diable… On était très loin d’imaginer que Kōli Fukada figurerait dorénavant dans ce palmarès.
Grain de sable
Et avec cette tragédie commence un nouveau film parsemé de motifs familiers de son cinéma : chassé-croisé amoureux, figures du passé qui ressurgissent et s’imposent, visibilité des étrangers et des SDF au Japon, jeux sur les différences de langage… La virtuosité de Fukada consiste ici à nous faire apprivoiser délicatement ces sujets et à les englober dans un questionnement plus grand. Celui de l’attachement, qu’il soit filial, amoureux ou social, et d’en tisser de multiples intrigues en nous interrogeant sur les choix, la culpabilité ou les trahisons qui peuvent en découler ; et comment vivre avec. Fukada ne donne pas ici de réponse, il n’est pas du genre à flécher ses intrigues. Au cœur de cette histoire, on retrouve une femme évoluant loin des sentiers battus et des représentations habituelles du cinéma japonais, un rôle féminin original dont Kōji Fukada a le secret. Dans L’Infirmière, déjà, son héroïne se confrontait à la suspicion et la combattait. Et dans Fuis-moi je te suis, Suis-moi je te fuis, il redéfinissait la figure de la femme fatale venant bouleverser les bonnes mœurs machistes. Ici, Taeko est moins discrète que la première et moins vaporeuse que la seconde mais elle est marquée au fer rouge par la naissance de son fils, issu d’un ancien mariage. Elle est, selon les dires du cinéaste : « Une erreur dans le système patriarcal, un grain de sable dans le système japonais. » Au fil des années, Kōji Fukada semble construire à travers sa filmographie un plaidoyer pour la reconnaissance des laissés-pour-compte de la société japonaise. Mère divorcée, immigré coréen ou amante délaissée, toutes et tous ont maintenant le droit à l’amour et à l’espoir.