MAD GOD de Phil Tippett

Depuis la fin des années 1980, Phil Tippett, maître incontesté des effets spéciaux et de l’animation en stop-motion sue à grosses gouttes pour donner vie à son premier long métrage original (en salles ce 26 avril). Après trente ans de sacrifices, de sang, de cris et de chair déchirée, le Frankenstein d’Hollywood nous présente son monstre le plus effrayant : il s’appelle Mad God et mesure 84 minutes. 

Phil Tippett est un parent de. C’est le nepo papa créateur de Jabba le Hutt dans Star Wars, des vélociraptors ouvreurs de portes dans Jurassic Park ou des insectes géants de Starship Troopers. Mais c’est aussi un homme qui mène une double vie. Soirs et week-ends, avec la complicité des membres volontaires de son studio, il crée un film d’animation horrifique en stop-motion. Le numérique peut bien faire sa révolution, Phil Tippett continue à utiliser ses mains pour modeler des monstres informes. Il est animé depuis l’enfance d’une mission divine et se souvient : « Le processus a été très long. Mad God est né de ma découverte de Jérôme Bosch, de Pieter Bruegel l’Ancien et de son fils lorsque j’avais environ dix ans. Cela a infusé depuis. » Le sacerdoce prend fin en 2020, lorsqu’il apporte les dernières touches au film de sa vie. La bête est enfin lâchée de festival en festival, comblant d’horreur les amateurs du genre. Il est même arrivé à se frayer un chemin jusqu’aux salles de cinéma.

Mad God (2021)

Mad God, avant de nous raconter une histoire, nous offre un aller simple en train fantôme vers le plus lugubre de nos cauchemars. Le but de Phil Tippett ? Explorer « l’absurdité du monde dans lequel nous vivons et sa folie». Cette plongée dans les abysses n’est pas sans dommages collatéraux pour son créateur : TOC, trouble bipolaire et séjour en hôpital psychiatrique…. Phil Tippett s’était confié à nous dans le numéro de novembre 2021 sur les effets secondaires de sa quête christique : « On peut parler de syndrome de stress post-traumatique dans mon cas. Je lutte encore aujourd’hui pour laisser Mad God derrière moi. C’est un peu mon Vietnam !» L’histoire du film importe peu. Vous cherchez une cohérence scénaristique quand vous faites un cauchemar, vous ? Si vous y tenez absolument, on pourrait raconter que dans le film, un assassin accroché à une valise explosive débarque dans un monde donnant une bonne idée de l’enfer post- catastrophe nucléaire. Le personnage traverse un monde désespéré, ultra-violent, où règne la terreur dans une mare de boue visqueuse sans fond. Il y a bien des sons, mais ils sont stridents, désagréables. Pas d’amour, pas de dialogue. Enfin, si, un peu, et quand cela surgit c’est encore plus troublant. L’humanité est montrée sous sa forme la plus organique, des viscères, des cris de bébé, puis un bras crasseux qui entoure un monstre avec douceur. Les yeux sont injectés de sang mais ils regardent avec une intensité désarmante. Des gueules énormes se fendent en hurlant pour montrer des rangées de dents humaines. La chair est tuméfiée, difforme mais elle souffre. On pense à Francis Bacon aussi. À ces corps tourmentés qui malgré tout continuent d’émouvoir. C’est poétique et repoussant à souhait. Et si, après la séance, il se trouve que votre corps de spectateur a un avis plus tranché sur le film que votre esprit, c’est normal. « La forme finale de Mad God, c’est le souvenir qu’on en a après visionnage ; c’est comme se réveiller et explorer le souvenir d’un rêve qu’on vient de faire. » Pari réussi pour Phil Tippett. L’expérience est visuelle, sensorielle et surtout indélébile. Et pour ceux qui en doutaient, oui, un film en stop-motion peut donner la nausée.