MANDIBULES de Quentin Dupieux

Dans Mandibules, les deux pitres du PalmaShow (Grégoire Ludig et David Marsais) se retrouvent aux prises avec une mouche géante qu’ils tentent de dompter… Un défi technique cronenbergien dont Quentin Dupieux livre les secrets.

Votre cinéma privilégie toujours les effets pratiques. Comment la mouche a-t-elle été animée sur le plateau ?
Au départ, j’ai pensé instinctivement à utiliser un animatronique. On peut faire des choses incroyables avec ça. Mais en définitive, j’ai compris que c’était une fausse piste. La mouche bouge très peu, ce n’est pas un dinosaure. Dans mon esprit, on lui scotchait les ailes et elle devenait une sorte de gros chien statique. Je suis donc revenu à mes fondamentaux en optant pour une marionnette, une technologie qui me passionne et que je maîtrise assez bien. La grammaire de mon découpage reprend ce que j’avais déjà fait avec Flat Eric (la mascotte de Mr Oizo, ndlr). Le modèle visible à l’écran a été longuement sculpté par les artistes de l’Atelier 69, puis manipulé par un seul marionnettiste pendant le tournage. Sur certains plans en revanche, les pattes ont été animées en 3D. La mouche est donc née d’un mélange entre un truc volontairement désuet, du latex et des poils, et une infographie numérique de pointe.

La mouche est très réaliste. Avez-vous eu peur que l’effet ne fonctionne pas ?
Bien sûr, c’était un sujet d’inquiétude tout au long de la fabrication du film. Si l’effet est raté, le film est raté. Il fallait juste trouver la bonne zone. Certainement que d’autres trouveront ma mouche ridicule et n’y croiront pas. Moi, je l’aime beaucoup car elle est là où ça m’intéresse. Elle m’évoque certains films des années 80, comme E.T. Une mouche « parfaite » générée par ordinateur relèverait d’un cinéma qui n’est pas fait pour moi. Pour être honnête, je ne conçois pas Mandibules ni aucun autre film comme un défi. C’est une relecture du cinéma de monstres que j’aime. J’ai simplement la flemme de faire un film de loup-garou, je préfère donc diluer cet héritage dans une comédie absurde.

Comment avez-vous pensé l’interaction entre vos acteurs et la mouche ?
Le simple fait d’utiliser un vrai modèle et pas un bout de coussin vert change la donne. Quand David et Grégoire découvrent la mouche dans le coffre, ils la découvrent vraiment, ils ne savaient pas à quoi elle ressemblait. C’était jubilatoire pour eux et je pense qu’il a été très simple pour les acteurs d’y croire.

Après avoir « dirigé » un pneu dans Rubber, vous « dirigez » cette fois-ci un insecte. Comment avez-vous appréhendé cette tâche peu commune ?
Le découpage est essentiel. Savoir quoi montrer et quoi dissimuler, jouer sur la durée des plans, c’est ce qui crée ce mystère et l’émotion qui s’en dégage. Tout ça disparaît si on opte pour le numérique. C’est aussi et surtout le génie des marionnettistes qui est à l’œuvre ici. Mal animé, Flat Eric ne serait plus qu’un bout de peluche jaune régressif et sans aucun intérêt. Je vois le marionnettiste comme un vrai comédien. Comme pour le pneu de Rubber, la mouche n’a aucune action et pourtant, il lui a donné une âme.– Propos recueillis par Alexis Roux