MARIA de Jessica Palud
Adaptation partielle de la biographie à succès « Tu t’appelais Maria Schneider » de Vanessa Schneider, Maria se focalise principalement sur la chute de l’interprète du Dernier Tango à Paris, qui sera aussi l’une des premières comédiennes à dénoncer les abus dans le monde du cinéma. Par Marine Bohin.
1972. Maria Schneider, fille illégitime de Daniel Gélin, tourne avec Bernardo Bertolucci le sulfureux Dernier Tango à Paris. Encore mineure – la majorité était alors fixée à 21 ans -, peu rompue aux tournages à une époque où le consentement des actrices vaut peu face à une bonne prise, elle se retrouve piégée par le cinéaste qui autorise tous les écarts à son acteur, y compris l’agression sexuelle. La tristement célèbre scène de la sodomie au beurre avec Brando fera de Maria une star déchue avant même que sa carrière ne commence. Le scandale est immense. L’Italie interdit le film, en détruit les copies et condamne même les deux comédiens à de la prison. Si Brando rentre tranquillement aux États-Unis, la trop jeune Maria reste seule dans la tourmente, traquée par la presse et conspuée par le public.
Triste Biopic
Comme Maria Schneider, la cinéaste Jessica Palud a rencontré Bertolucci à 19 ans, en étant stagiaire sur le tournage de The Dreamers. On sent en toute logique dans son deuxième long-métrage une volonté de ne pas diaboliser outre-mesure le réalisateur, mais également une vraie réflexion sur la fabrication du cinéma et ce que l’on fait parfois en son nom. Le film capte, dans ce qui s’avère sa meilleure partie, une certaine vérité : la complicité qui se forme entre Maria et Marlon (Matt Dillon), malgré un rythme de travail effréné – le Tango a été tourné en douze semaines, à raison de 14h par jour -, les dérapages improvisés pendant les prises, la gêne et le silence de l’équipe. Passé cette première moitié, le film perd son souffle. La caméra épouse à chaque plan vaporeux la symétrie parfaite du visage de Anamaria Vartolomei sans réellement percer le mystère Schneider. Et la mise en scène pêche par excès de pudeur, nous tenant tellement à distance de sa protagoniste qu’elle semble absente du film alors que le livre qu’il adapte la rendait si vivante. Où est la femme qui buvait encore du champagne sur son lit d’hôpital, peu de temps avant sa mort en 2011, qui disait ne pas regretter ses excès, et qui s’était envoyée en l’air avec Bob Dylan sur un vol Paris-New-York ? Là où l’excellent livre de sa cousine Vanessa Schneider explorait les multiples facettes d’une femme à l’existence intense, le film opte pour un portrait poli, en se concentrant sur les drames traversés par la comédienne – le rejet de sa mère, le scandale de son premier film, l’héroïne. Il n’en demeure pas moins que réhabiliter la figure de Maria Schneider en 2024 a du sens et de l’importance, le film nous rappelant qu’elle a souvent dénoncé les abus et le sexisme dans une ère largement pré-Metoo, peu encline à écouter les plaintes des actrices. Malgré ses faiblesses, Maria reste un hommage à l’une des nombreuses victimes d’un cinéma qui broie les femmes, et raisonne grandement par les thèmes qu’il aborde avec notre époque.
Maria (Cannes Première), en salles le 19 juin 2024.