Marina FOIS : « L’humour, c’est quelque chose qu’il faut vénérer »

– MARINA FOIS : « L’humour, c’est quelque chose qu’il faut vénérer » –

C’est officiel : Marina Foïs présentera les Cesar 2021. Fine silhouette et voix chaude, la comédienne a réussi un truc pas si évident en France : devenir très populaire sans céder sur la prise de risque. Et puisqu’elle est aussi à l’aise dans le drame tendu que dans la comédie régressive, pas étonnant qu’on passe avec elle sans transition de Dupont-Moretti à Melissa McCarthy. Discussion de bon matin, entre les enfants à l’école et le boulot. Propos recueillis par Raphaël Clairefond (parus dans Sofilm n°57 (février 2018).

Vous êtes en plein tournage d’un film, Intime Conviction, sur l’affaire Viguier (la disparition d’une femme en l’an 2000 menant à l’accusation de son mari, un professeur de droit de Toulouse, ndlr), vous pouvez nous raconter ?
C’est plus un film de procès sur la justice qu’un film sur le fait divers lui-même. Je joue un personnage de fiction largement inspiré de ce qu’a vécu Antoine Raimbault (réalisateur du film, ndlr), qui était à Toulouse au moment du premier procès et qui s’est rapproché de la famille. Je joue une ancienne jurée qui va chercher Dupont-Moretti pour qu’il défende Viguier. Dupont-Moretti dit : « J’ai trop de boulot, il y a 200 heures d’écoutes téléphoniques. Je défends Viguier si vous dérushez les écoutes. » Elle va trouver dans les écoutes de quoi acquitter Viguier une deuxième fois. C’est un film qui se demande : c’est quoi rendre justice ? C’est une question intéressante et pas du tout populaire. Par exemple, on a bien vu au moment de l’affaire Merah que Dupont-Moretti soulève une indignation massive alors que la question qu’il pose est toujours la même : dans quels termes on défend les accusés ? C’est très important parce que ça dépasse toujours le cadre du fait divers, ce sont des questions sociétales et éthiques, morales… Quand j’étais jeune, j’avais assisté à des procès et je me rends compte à quel point la morale est quelque chose de flou et de compact dont on hérite. On ne réfléchit pas, on a des espèces de préceptes débiles, chacun a une morale tout à fait personnelle et il faut définir ses propres limites. La justice questionne ça, c’est pour ça que ça me passionne.

On parle souvent des avocats comme des acteurs qui mettent en scène leur parole…
Il y a de la dramaturgie, oui. Il faut savoir jouer avec les émotions évidemment. Mais je dois avouer que c’est fait avec une grande habileté de la part de Dupont-Moretti, sans cynisme. Sa pensée est très subtile. Je l’ai vu plaider dans l’affaire d’une femme soupçonnée d’avoir empoisonné son mari ; avec un dossier vide, elle a été acquittée. Ce qui m’a fascinée, c’est la subtilité de sa pensée. Là où il pose les questions, ça élève tout le monde. Et d’un coup, ça donne du sens. Trouver un sens à : comment on punit, pourquoi on punit, est-ce qu’on punit ? C’est la seule chose qui permet d’envisager un avenir et de se projeter ailleurs. Parce que la haine, les a priori, la rumeur, tout ce qui est colporté de faux et de bidon, cette espèce de rouleau compresseur de l’opinion publique, ça produit vraiment de la merde.

Vous pensez que Dupond-Moretti aurait subi les mêmes critiques s’il avait été moins médiatique ?
Je ne sais pas, peut-être pas. Devenir un personnage médiatique, pour tout le monde, ça brûle le discours. Le personnage médiatique est toujours réducteur. Mais je crois qu’avec cette affaire on touche à quelque chose de beaucoup trop émotionnel, on a tous du mal à faire appel à la raison. Et je le comprends. Dieu merci on a une empathie totale pour les familles et leur douleur. Mais heureusement que Dupont-Moretti et les acteurs de la justice ne sont pas que dans le registre compassionnel, sinon il faudrait remettre les bûchers. Je l’ai entendu chez Nicolas Demorand, qui joue de l’indignation par rapport à la mère, il lui a dit : « Mais la mère de Mohamed Merah, c’est une mère, c’est pas une vache qui a vélé… Même si son fils est un monstre elle a le droit d’avoir des sentiments maternels pour lui. » Je pense que cette réponse-là, elle élève tout le monde. On peut aussi se projeter dans l’histoire de cette femme : qu’est-ce qu’on fait quand on est la mère de cette personne-là ?

Vous avez toujours été relativement discrète sur vos opinions politiques, jusque-là…
Oui, parce que j’ai une haute opinion de la parole politique. Sur les vrais sujets, interrogeons les gens concernés. Très vite, ma rhétorique à moi, c’est celle du comptoir, donc ce n’est pas intéressant. En revanche, j’ai dit, quand j’étais bourrée, dans Les Recettes Pompettes que je n’avais pas envie d’une France filloniste et surtout pas d’une France vieille, qui se replie, qui creuse les écarts, qui n’ouvre pas ses portes ni ses frontières…

D’où votre participation récente à un spot du Comité pour une Nation Refuge avec Matthieu Kassovitz…
Ce spot, c’est un endroit assez juste pour les acteurs, pour prendre position : je mets à disposition mon corps, mon savoir-faire au service d’un discours de gens qui sont sur le terrain. Le CNR est un collectif d’associations et de particuliers qui se mobilisent et qui luttent contre toutes les violences faites aux réfugiés. On ne les connaît pas toutes, il y a l’interdiction de distribuer des repas, les jets d’eau pour les faire déguerpir, ça, ce sont des violences qu’on n’a pas besoin de décrypter, mais par exemple, j’ai appris que dans les préfectures, ils font la queue pendant des heures pour remplir des papelards et devenir demandeur d’asile, sauf qu’il n’y a pas de traducteurs. Moi, je parle français couramment et j’ai du mal à remplir ces trucs administratifs. Eux, ils ne parlent pas la langue et ils signent des papiers dont ils ne savent pas ce qu’ils contiennent. C’est un mépris absolu de la dignité humaine.

Le spot est assez « choc », comme on dit…
Le film est dans un registre émotionnel et compassionnel qui n’est pas forcément le mien dans la vie mais je le trouve hyper efficace et j’aime bien cette idée toute simple : et si c’était nous ? Je ne comprends pas que l’empathie ne marche pas de manière beaucoup plus simple. Pourquoi on ne se reconnaît pas dans ces gens-là ? Si on se pose la question deux secondes, on sait qu’il y a des chauffeurs de taxi, des profs d’université, des médecins, toutes les classes sociales, toutes les histoires individuelles sont représentées… Je ne comprends pas ce manque de largeur de vue. Dans ma famille, il n’y a que des immigrés, c’est une immigration bourgeoise, des Russes blancs, des juifs d’Egypte, des gens qui avaient de l’argent, donc ce n’est pas une immigration prolétaire, qui est encore plus méprisée que l’autre. Néanmoins ce sont des gens qui ont été déracinés. Mes arrière-grands-parents ont été sauvés par le Portugal qui, à l’époque, donnait la nationalité aux juifs pour qu’ils ne soient pas déportés. Cette réalité, elle n’est pas si loin. Donc ça me paraît normal de ne pas me sentir si loin des réfugiés d’aujourd’hui. Il y a cette phrase dans leur texte qui dit : « L’exil est une douleur pour tous, l’accueil des réfugiés est un droit et un devoir et peut-être, sûrement, une chance pour ceux qui sont accueillis comme pour ceux qui accueillent. » Point, fin du discours, c’est tout. Je suis pour la mixité dans tous les domaines.

Et le premier lieu de cette mixité normalement, c’est l’école publique…
Oui, mes enfants sont à l’école publique, dans le IXe à Paris, où il y a beaucoup d’intermittents et ceux qui ne le sont pas sont des « bobos », ce que je suis moi aussi, peu importe. Mais il se trouve qu’il y a encore dans le IXe des gardiens d’immeuble, des chauffeurs de taxis et des gens qui viennent d’ailleurs. Mes enfants sont plus « mélangés » que moi à leur âge quand j’habitais en banlieue parisienne dans le 91 à Orsay, qui était une banlieue de profs de fac. Je me souviens, un jour la directrice est entrée dans la classe et a dit : « Qui n’a pas la nationalité française ? » On a été deux à lever le doigt, une Portugaise et moi, qui avais la double nationalité italienne et française. J’avais sûrement levé le doigt pour frimer, n’empêche qu’on était deux. Donc il n’y avait que des Blancs, que des « babtous » comme dit mon fils.

Vous avez confiance dans les jeunes générations ?
Oui, je pense qu’ils ont une longueur d’avance. Si je regarde mes fils et ceux qui les entoure, je les trouve hyper sensibles à la question du racisme. Mon fils, en 5e, était rentré choqué un soir parce qu’un prof avait dit : « Vous ferez pas comme les Romanichels dans le métro… » L’autre de 8 ans, s’énerve devant The Voice : « Tu vas voir ! Il va perdre tout ça parce qu’il est noir » Après, cette génération a vécu les attentats, on a été obligé de leur parler. Nous, on avait le sida, eux, ils ont les attentats…

Vous parlez de vos parents comme de « soixante-huitards ». Ça passait par quoi ? L’éducation, le mode de vie ?
Il y avait des choses très concrètes : notre maison ne ressemblait pas à celle des autres, les repas aussi. Ma mère jetait une casserole de chili con carne sur la table alors que quand j’allais chez les autres, c’était comme à la cantine : entrée-plat-dessert. Autant vous dire qu’un rond de serviette, si je n’avais pas été invitée chez des gens, je n’aurais pas su que ça existait. On ne faisait pas Noël en famille, les vacances n’étaient pas les mêmes, mes parents ne se fringuaient pas pareil… Mon père à l’époque, il était hyper chic avec une part d’excentricité, ils me foutaient la honte…

Du coup, pourquoi ne voulaient-ils pas vous laisser partir faire du théâtre ?
En fait ils m’encourageaient, j’ai commencé très tôt et ils étaient convaincus que je serais une des meilleures actrices du monde. Mais comme tous les parents sont paradoxaux, à un moment ils ont été rattrapés par l’inquiétude. Quand j’ai voulu partir à 16 ans pour jouer à Toulouse, ils ont paniqué : « T’es en seconde, il faut finir ta seconde… » C’est une crise qui a duré une semaine, j’ai réussi à les mettre à terre et ils ont accepté. Ils me trouvaient géniale aussi bien au festival Off d’Avignon devant trois personnes que plus tard à l’Odéon.

En tant que fumeuse notoire, les rumeurs d’interdiction de la clope au cinéma, ça a dû vous faire bondir…
Je suis une droguée, mais surtout une militante de la liberté et de la responsabilité individuelle. Cette espèce de polémique dans le monde dans lequel on vit… Pendant que les Rohingyas se font massacrer, que les réfugiés sont traités comme des clebs, pendant que les petites filles sont déclarées consentantes à 11 ans quand elles se font toucher par un pervers… Au cœur de ce monde-là où il y a deux milliards de combats à mener, on va nous dire « il faut pas fumer au cinéma ». Mais ça va devenir quoi le sujet du cinéma ? Des gens qui vont bien, qui mangent équilibré et qui sont moralement irréprochables ? Ça ne m’intéresse pas et je pense que ça n’intéresse personne.

À l’ère « post-Weinstein », on pouvait être surpris, récemment, quand vous disiez qu’aux Robins des Bois, vous étiez un peu la « bonniche ». Si vous formiez les Robins aujourd’hui, vous pensez que le rapport serait différent ?
Non, parce que la bonniche, c’est une manière un peu triviale et marrante de dire que je n’étais pas du tout moteur et ça ne me pose aucun problème de le reconnaître parce que c’est la vérité et parce que j’étais à ma place. Ils sont quasiment tous devenus metteurs en scène ou auteurs, pas moi, je suis restée actrice, je suis le vecteur de la parole de quelqu’un. Après, quand je dis que j’étais la bonniche, on en rit avec eux, mais quand il y avait un rendez-vous à organiser, c’est vrai que c’était plus moi qui le faisais qu’eux. Mais ça on s’en fout. La tonalité du groupe était la leur. Quand je dis ça, je ne me déprécie pas, c’est une réalité.

C’est vrai que vous aviez signé votre premier contrat avec Canal + sur un bout de serviette ?
Oui, c’était Alexandre Rubini, directeur des programmes à l’époque, qui nous avait emmenés à Cannes. On était invités à dîner sur le bateau Canal avec Alain De Greef, dont je salue la mémoire. Il nous a dit : « Voilà, j’aimerais que vous veniez à Nulle part ailleurs » Nous, on répond : « Non, non, non, ça c’est des paroles de Cannes, tout le monde est bourré… On veut un contrat maintenant. » Donc il a pris une vieille serviette en papier dégueulasse, et il a écrit « Contrat Robins des Bois sur Nulle part ailleurs rentrée 1999 », et il a signé. On est partis avec. On ne réalisait pas du tout les enjeux, alors on a dit : « Ok, mais à condition d’avoir une hebdo », et il était d’accord. Vous ne pouvez pas savoir ce que c’était les rendez-vous à Canal… À chaque fois, la standardiste nous disait : « Attendez sur le petit canapé », qui était dans le couloir. Un jour, il y avait des gens déjà assis sur le petit canapé, donc PEF commence à se mettre contre le mur, à prendre des poses… Puis il s’allonge par terre. De Greef arrive et je lui dis : « Alain, je suis désolé, le canapé, il était pris… » De Greef : « Je comprends, je suis navré », et il a tiré PEF par les pieds jusqu’à son bureau… De Greef était un mec de télé génial, d’une grande culture, d’une grande curiosité, d’une immense intelligence et qui nous disait : « On fait pas de la télé pour les cons, et si les gens n’ont pas compris ça, tant pis pour eux. » Il nous a ligotés à notre liberté. Et je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui mais les rapports étaient horizontaux et pas verticaux. À Canal, on parlait à tout le monde pareil, du stagiaire au présentateur. Lescure et De Greef traitaient notre assistante avec autant d’égards que nous. C’est fondamental.

Le Canal + de Bolloré, vous le suivez encore ?
Non, mais je n’ai pas la télé, je ne sais pas. Canal + a été une chaîne jeune, elle ne pouvait pas le rester, c’est ailleurs que les talents naissent et renaissent, il ne faut pas être bêtement nostalgique. Tu ne peux pas rester à l’avant-garde toute ta vie, ça n’arrive à personne. Il faut savoir prendre le virage.

Qu’est-ce qui vous fait rire en ce moment ?
Je dois avouer que mes fils me montrent des comédies américaines, l’autre jour j’ai regardé Ghostbusters, le dernier, j’ai ri… J’ai mis la tête au carré à mes fils : « Regardez ! C’est un film féministe ! » On a une idole, c’est Melissa McCarthy. Les Flingueuses, je l’ai vu 7 000 fois. Ils m’ont aussi montré Mes Pires Voisins, pareil, mais c’est d’une vulgarité… Ça peut me mettre dans des situations embarrassantes. Par exemple, il y a une scène avec une petite fille qui se promène avec un gode… Eh bien là, c’est l’anniversaire de la cousine de 5 ans, mon fils qui a 9 ans me fait : « Bah on n’a qu’à lui offrir un gode ! » Oh là là, la pédagogie…

Papa ou Maman 1 et 2, ça fait partie des rares bonnes comédies françaises à avoir été adoubées par la critique et le public. Pourquoi d’après vous ?
Moi, j’aime les deux films et surtout la démarche. J’aime que Martin Bourboulon soit aussi obsessionnel que s’il faisait une œuvre expérimentale. Il a pris au sérieux la mise en scène et la direction artistique parce que c’est vrai qu’il y a un malentendu qui consisterait à dire : « La comédie, à partir du moment où c’est drôle, on s’en fout que ce soit moche. » Faux. Judd Apatow, on aime ses comédies parce qu’elles sont ultra-cohérentes, très mises en scène, très écrites, très éclairées… Mais peut-être que la comédie en France paie un peu le fait d’être considérée comme un sous-genre. L’humour est une qualité, une vertu, une politesse, c’est quelque chose qu’il faut vénérer, il faut prendre ça très au sérieux. Woody Allen dit que c’est aussi compliqué d’écrire un drame qu’une comédie, je le crois bien volontiers. C’est une écriture extrêmement subtile. Même à jouer, c’est très difficile de faire rire sans vérifier qu’on fait rire, en se détachant… Il faut trouver la gravité de la comédie, oublier l’effet pour être à l’os dans la situation… Vraiment, c’est une discipline de dingue. Bourboulon, Lafitte et moi, on a dû se battre. Et moi, je dois me battre contre un registre de vannes qui sont toujours situées en dessous de la ceinture parce que je suis une femme. Si on me fait monter un coup, ce sera autour de mes facultés de séduction ou de la déception que je pourrais infliger aux hommes… Ça ne me fait pas rire. Dans la vie, quand je suis drôle, ce n’est pas forcément dans ce registre. Les femmes qui me font rire, ce n’est pas à cet endroit que ça se passe… Et puis c’est ringard en fait, c’est de l’humour de la société d’avant. Pour rencontrer le succès il faut se synchroniser, il faut être contemporain, parler comme les filles d’aujourd’hui parlent.

Sur Papa ou Maman, vous auriez voulu aller plus loin ?
Oui, il y a eu plein de moments où on aurait voulu aller plus loin. Mais un jour, Lafitte et moi, on fera un film tous les deux. Parce que c’est le mec le plus trash que je connais dans la vie. Il est sans limites, il peut me choquer ! Il a toujours le dernier mot dans la joute… Les films de Sacha Baron Cohen, qui était mon idole absolue, marchent parce qu’il dépasse constamment les limites de ce qu’on peut voir ou entendre. Moi, je veux bien qu’on fasse des blagues misogynes dégueulasses si le film est très moderne dans sa pensée, vous voyez ce que je veux dire ? Je ne suis pas pour le lissage, mais il faut que la pensée derrière soit imparable. Quand ça l’est, c’est un exutoire. Et je pense qu’on a tous besoin de ça.

Récemment, Charles Nemes (réalisateur de La Tour Montparnasse infernale, ndlr) disait à propos de vous : « Le jeu de Marina Foïs était fascinant car elle apportait des codes totalement extérieurs à ce cinéma régressif. Elle jouait comme si elle était chez Hitchcock ou Truffaut. »
Ah oui ! C’était bien malgré moi. J’ai eu une prof géniale, Nada Strancar, avec qui j’avais travaillé la tragédie à 20 ans. Elle m’avait dit : « Quand tu joues une tragédie, il faut trouver l’humour et quand tu joues une comédie, il faut que tu y trouves la tragédie. » Je ne sais pas pourquoi ça m’a parlé tout de suite. Peut-être que j’avais eu l’occasion de constater dans ma courte vie que c’était aux enterrements qu’on rit très fort et aux mariages qu’on a le cafard. Ce contraste-là, c’est la vie même. Plus tard, j’ai eu ma période « cinéma asiatique », qui est fascinant parce qu’il mélange des genres et que Johnnie To n’a pas peur de mettre une scène de comédie musicale dans une comédie romantique qui en fait est un polar… Ou le cinéma anglais qui autorise ses personnages à avoir de l’humour même s’ils sont pauvres et qu’ils n’ont pas de quoi bouffer… Voilà, la vie, elle est belle quand elle est contrastée.

Et Gaspard va au mariage, dans tout ça ? On peut parler de la première scène de votre personnage de vétérinaire (qui est aussi la femme du patron du zoo), peut-être ?
Ah. Oui, mais ça va être déprimant, on va encore utiliser des gros mots… Donc oui, j’ai sodomisé un yak, enfin j’ai sodomisé… J’ai fisté un yak. Vous voyez je n’ai pas de limites, je suis très généreuse avec le cinéma. Je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, ni avant ni après, mais on était très entourés par des vétos…

Dans le film, il y a une relation très fusionnelle entre un frère et une sœur, et dans Happy End, c’était deux couples échangistes amoureux. Ce qui est intéressant avec Anthony Cordier, c’est qu’il n’est jamais dans la morale, le jugement, non ?
Oui, il interroge les cadres archaïques tellement rigides qui nous enferment. C’est toujours la question de la liberté individuelle et de ce à quoi j’ai droit, moi, sans faire péter ce qu’il y a autour, sans faire mal. Beaucoup de gens ne vivent que comme on leur a appris et ne réinventent pas la famille, c’est pour ça que les gens crèvent, en fait. On est sans cesse renvoyés à des schémas à l’intérieur de la famille et du mariage qui sont très difficiles à contourner…

Vous citez souvent Huppert et Deneuve comme modèles…
Oui, comme toutes les actrices, non ? Huppert et Deneuve sont très différentes. Mais elles ne sont ni l’une ni l’autre dans le paternalisme, ce ne sont pas des donneuses de leçons. Elles ne se posent jamais comme les icônes qu’elles sont. C’est pour ça que ce sont des actrices rares. Elles ne se sont jamais assises dans les fauteuils de la notoriété et du pouvoir. Ça ne les intéresse pas. C’est leur cinéphilie et leur curiosité qui les constitue, pas leur statut. Il y en a beaucoup d’autres dont la carrière patine à cause de ça, parce que tout d’un coup, on s’accroche à la place que soi-disant on a, comme si c’était quelque chose d’acquis. Et elles ont une manière hyper sexy de faire du cinéma. Catherine, elle s’en branle des César et elle a raison ! Quand on les a en face de soi, on mange, on rit, on fume, on n’est pas du tout dans ce rapport-là. On sort très tard aussi. Isabelle, elle peut sortir, très, très tard. C’est une guerrière, Isabelle…