JEREMIE PERIN : « Blade Runner m’emmerde ! »

Bien loin du graphisme « edgy-sale gosse » de Truckers Delight ou frenchy-manga-violent de Lastman, Jérémie Périn fait le choix d’un réalisme épuré pour son premier long. Le pitch : une privée enquête sur la disparition d’une étudiante dans la colonie futuristo-bourgeoise de Mars. Film noir et science-fiction, vous pensez à Blade Runner ? Il n’en est (vraiment) rien. Fourmillant de références, Mars Express s’en extirpe et vient poser son style dans la grande histoire de l’anim’ hexagonale.

Comment décririez-vous l’univers de votre film?
J’ai essayé de faire une anti-utopie. C’est un peu notre réalité d’aujourd’hui, mais poussée plus loin. Je suis parti des fantasmes des milliardaires Bezos ou Musk qui veulent vivre dans l’espace, créer des colonies martiennes et des stations spatiales habitables à la Interstellar. C’est un monde dingue, dans lequel je n’aimerais pas vivre, mais faut bien s’y attaquer et montrer combien c’est voué à l’échec.

Est-ce que la SF est un bon moyen de traiter de sujets politiques ?
Il est plus facile de faire avaler la pilule avec ce genre, qui est toujours traversé par les problématiques de son temps, en les restituant au travers des problèmes sociaux et des technologies poussées au maximum. Dans Mars Express, on a repris une phrase de Léa Salamé et parodié le traitement médiatique des Gilets jaunes, pour traiter de la soi-disant violence des robots. C’est un genre qui porte en lui des idées politiques : on est forcé d’extrapoler notre monde, de le maximiser. Même Alien est politique. Soleil vert, La Planète des singes… tous les grands films de SF sont politisés.

Existe-t-il un film de SF de droite ?
Ça doit exister. Pour moi, Matrix, c’est un film de gauche, les autrices sont de gauche. Il y a quand même des droitards demeurés qui pensent qu’il leur est destiné. Il y a eu ce moment incroyable sur Twitter (X) où Elon Musk et Ivanka Trump glosaient sur la pilule rouge. Une des sœurs Wachowski les a invectivés. C’est pareil avec Invasion Los Angeles de John Carpenter qui a dû rétablir la vérité sur son film : non, les aliens ne représentent pas les juifs mais le capitalisme.

Quels sont les écueils de la SF dans lesquels ne pas tomber?
On était partis pour faire de la « Hard SF », c’est-à-dire de la SF fondée sur des connaissances ou prospectives scientifiques. Ne pas tomber dans la fantasy. Nous avions envie d’être le plus cohérent possible. Quand on imaginait une technologie, on essayait de la rendre utilisable et ergonomique. Je voulais éviter de mettre des lasers pour un oui ou pour un non, ou des lumières néons dans des cols de chemise comme dans Cyberpunk 1977. Je voulais éviter le côté cool, pas d’écrans d’ordinateurs transparents pas pratiques. Si on est en train de lire un article et que derrière il y a une voiture blanche qui passe, ça casse les couilles.

Et comment on imagine une vérité du futur sur Mars ?
En demandant à des gens qui s’y connaissent mieux que nous. Avec Laurent Sarfati (co-scénariste), on a rencontré un planétologue, spécialiste de Mars, Sylvain Boulay et on a croisé son collègue François Costard. Sylvain lui dit : « Tu veux venir, ce sont des scénaristes, ils veulent faire un film qui se passe sur Mars ? » Il a répondu : « Ouais, bon bah vous voulez savoir quoi ? Si on va sur Mars c’est parce que la Terre sera devenue pourrie et il n’y aura que les riches qui pourront habiter là-dessus. » On lui a dit : « C’est exactement notre film ! » Il pensait qu’on était des illuminés qui voyaient là-dedans une réelle utopie. Notre première question c’était : où est-ce qu’on s’installe sur Mars ? Ils ont sorti une sorte de Google Mars en 3D et ont dit qu’il fallait aller sur Noctis Labyrinthus, un ancien réseau de fleuves de lave effondrés, ayant généré des canyons gigantesques. On est dans une immense cuvette, c’est un bon moyen de créer une ville sous dôme avec une sorte de plafond. Sur les bords il y a des grottes et comme l’atmosphère est blindée de radiations, l’idée, c’était de se protéger sous terre en attendant que le dôme se construise. On a tout noté et injecté dans le film, c’est pour ça que le périph’ est taillé dans la roche et que le vieux Noctis est dans les sous-sols. On a horizontalisé la ville car il y a encore cette logique de colonisation. Nous avons essayé de tromper le spectateur avec un ciel bleu, de jouer sur un faux confort, une artificialité. C’est une enclave sur une planète mortelle.

Vous avez fait comment pour rendre tout ça intelligible ?
On avait un petit glossaire, une sorte de notice, pour ceux de l’équipe qui étaient perdus. Je n’avais pas envie avec Laurent que les dialogues expliquent les éléments qui doivent sembler familiers aux personnages. Par exemple, nous ne sommes pas toujours en train de parler de nos téléphones et de décrire comment ça marche. Le spectateur doit décoder au fur et à mesure le monde. Il y a plein de croquettes pour ceux qui veulent revoir le film plusieurs fois.

Quelles étaient vos références en SF ?
Bah, on les connaît tous (rires) ! Je ne suis pas trop Blade Runner, Laurent oui. Je ne peux pas ne pas le considérer comme un jalon de la SF, mais je pique une tête à chaque fois. Il m’emmerde ce film, il est très beau, j’aime la musique, mais je dors. Je vais être un peu vache mais l’enquête d’Harrison Ford, elle ne tient qu’à analyser une photo et aller interroger une danseuse. Voilà, fin de l’enquête ! Il n’y a que deux étapes…

Et 2049 ?
Non. Villeneuve, je ne le supporte pas ! Je le trouve surplombant, j’ai l’impression qu’il n’aime pas tellement la SF. Il en fait mais il a besoin de prouver que la SF, c’est sérieux. Il n’y a aucune blague dans ses films, c’est cadré toujours pareil. Ah, non, ça m’énerve !

Vos héros sont une alcoolique et un robot accusé par son ex de violences conjugales. Pas banal, comme attelage…
J’aime bien quand les personnages ne sont pas univoques. Pour Aline, c’est parti du principe que le personnage archétypal du privé est un alcoolo. Mais d’habitude, ce n’est pas une femme. C’est le petit twist qu’on a opéré. C’est intéressant de voir ce qui disparaît avec ce type de personnage quand on change son genre. Pour Carlos, c’est un élément perturbateur, on commence à bien l’aimer et paf, dans le film, on apprend qu’il a été violent et on ne sait pas quoi faire de cette information. Depuis il est devenu un robot, il ne peut plus être brutal. Que dit le film ? Qu’il est mieux qu’avant ? Est-ce mieux d’être un robot ? Est-ce vraiment encore lui ?