MEN de Alex Garland

Après avoir repoussé les limites de la génétique dans Annihilation (2017) et mis en scène la crucifixion de Jésus de Nazareth dans sa série Devs, Alex Garland s’attaque de front à la racine du Mâle avec Men, un film qui baigne dans les eaux marécageuses du body horror tendance Cronenberg et d’un mysticisme païen naïf. Exilé dans la campagne anglaise, le cinéaste callipédique accouche encore une fois d’un beau bambin sans âme et lui fait prendre le bouillon. Chronique d’un naufrage plein de panache.

Pour son troisième long-métrage et son premier passage au Festival de Cannes, Alex Garland se met au vert. Men prend racine dans une campagne anglaise à la David Hockney où Harper (Jessie Buckley) tente de se remettre du suicide de son mari, James (Paapa Essiedu), un pervers narcissique littéralement en « chute libre » dès les premières minutes du film. Mais une baraque cossue et une végétation verdoyante n’ont guère les vertus curatives escomptées. Harper s’abîme dans le gouffre d’une masculinité toxique et universelle, prétexte pour Garland à l’ébauche d’un petit théâtre pervers peuplé du même homme « fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Dans cette généalogie du « Mâle », Rory Kinnear se plie à l’exercice consacré du polymorphisme façon Peter Sellers, incarnant tour à tour un pasteur libidineux, un sale gosse, un propriétaire terrien pittoresque ou encore un policier exécrable, à grands renforts de prothèses en tous genre. Une performance qui ne manque certainement pas de panache, mais apporte son lot d’esbroufe à un film par trop confus.

Abonné aux digressions poético-philosophiques depuis Ex-Machina, Alex Garland s’aventure ici dans les hautes herbes de la théologie, qu’il débroussaille à grands coups de psychologie de comptoir. Attention, terrain miné ! Mythologie païenne, anaphores utérines et allégories bibliques balourdes précipitent Men dans un salmigondis de symboles empruntés au sacro-saint « cinéma de genre » et à ses totems. Comment ne pas songer aux visions subliminales de Pazuzu (L’Exorciste) quand Sheela-na-Gig, une divinité celtique à la vulve ouverte, vient hanter les cauchemars de Harper ? Ou aux gestations monstrueuses du cinéma cronenbergien (d’ailleurs en pleine résurgence à Cannes cette année) devant les accouchements en cascade des mâles toxiques de Rory Kinnear, point d’orgue d’un film qui lorgne vers le body horror, non sans opportunisme, dans son dernier quart d’heure. Alex Garland connaît son cinéma sur le bout de doigts, il n’était peut-être pas utile de nous l’étaler ainsi sur près de deux heures…

S’il s’égare sur les sentiers battus d’un féminisme de pacotille, Men ne manque pas de flatter la rétine. Ralentis dans la veine de Lars Von Trier période Antichrist, natures mortes vermeeriennes, bande sonore viscérale à faire exploser le trouillomètre… Garland prouve encore une fois qu’il compte parmi les grands formalistes de notre temps. On regrette néanmoins qu’il se pique d’enfoncer des portes ouvertes à grand fracas, Leigh Whannell ayant déjà défriché le terrain de la perversion narcissique par le prisme du genre avec Invisible Man il y a deux ans. A croire que le masculin toxique « is the new chic »…