MICHAEL CIMINO, UN MIRAGE AMÉRICAIN de Jean-Baptiste Thoret

La figure insaisissable de Michael Cimino aura toujours obsédé le critique et cinéaste Jean-Baptiste Thoret. Documentaire fleuve, Un Mirage américain constitue peut-être le chapitre final de ce parcours cinéphile.

Lorsque Jean-Baptiste Thoret rencontre Michael Cimino à Los Angeles, c’est pour l’accompagner sur les routes afin de sillonner l’Ouest américain qui le fascine tant. Un périple qui débouchera sur un très long portrait dans les colonnes des Cahiers en 2011, puis un livre (Les voix perdues de l’Amérique, éd. Flammarion), et enfin, un documentaire d’une heure, God Bless America, diffusé sur Arte en mai. Le long-métrage en est d’ailleurs une version longue et remaniée, tout comme le livre prolongeait l’article. Après tant d’ouvrages, que reste-t-il à dire sur l’œuvre de Cimino ?

Sur la route de Mingo Junction 

Dans We Blew It, Jean-Baptiste Thoret partait d’un élément cinématographique précis (la réplique fataliste de Peter Fonda dans Easy Rider) pour dévoiler les stigmates et les conséquences de la contre-culture des années 70 dans l’Amérique actuelle. Le même cheminement est à l’œuvre dans Un Mirage américain. Par le biais d’un marqueur culturel (la filmographie de Michael Cimino), Thoret cherche à renouer avec une certaine idée de l’Amérique : celle de la communauté comme fondation, le grand motif de John Ford. D’abord, en retournant à la source de Voyage au bout de l’enfer, soit la petite bourgade ouvrière de Mingo Junction, aujourd’hui désœuvrée et précarisée par la désindustrialisation. Puis, en prenant symboliquement la route « aux côtés » de Michael Cimino, dont la voix enregistrée, fatiguée et monocorde, guide le spectateur dans les grands espaces. Tout au long du périple, Thoret se restreint le plus possible à citer directement les films qu’il admire, privilégiant le son plutôt que l’image pour superposer ce qui était et ce qui reste.

Deux segments distincts qui convergent vers une seule et même idée, hélas particulièrement amère. La communauté n’existe plus, et le territoire sauvage où elle devait s’épanouir n’est rien d’autre qu’un paradis perdu. Un dispositif qui s’affranchit de la distinction entre fiction et documentaire et multiplie les passerelles entre les deux, à l’image de ces quelques interludes où Thoret projette des morceaux de films à même le décor, fusionnant l’image de cinéma et la matière du réel qui l’inspire. Ainsi, lorsqu’il organise, à l’arrière d’un bar, une projection de Voyage au bout de l’Enfer, Thoret dévoile une cohésion populaire toujours vivace, quand les habitants, imitant leurs doubles fictionnels, lèvent leur verre à la mémoire de Nick – le personnage de Christopher Walken. Pour un court instant, le fantasme du peuple « ciminien » paraît toujours d’actualité.

C’est là l’aspect le plus touchant du film. Comme Cimino lui-même renouait avec l’utopie fordienne tout en prenant acte de son impossibilité, Thoret semble tiraillé entre l’espoir d’avoir retrouvé un peu du mythe et la désillusion du retour au réel – en témoigne les critiques d’Oliver Stone, l’un des intervenants de prestige du film, très sévère à l’égard de Cimino. Un Mirage américain est un film profondément mélancolique, marqué par la perte et le poids du souvenir, autant qu’un hommage magnifique à celui dont la carrière a trop vite connu la déroute. Ce n’est pas rien si le nom de Cimino apparaît, pour la première et dernière fois, sur la ligne d’horizon d’un bord de mer. Là où la route s’arrête, le mirage commence