MUNICIPALE : « C’était Emmanuel Macron et Don Quichotte en même temps »
Février 2020, le réalisateur Thomas Paulot et l’équipe du docu-fiction Municipale s’installent à Revin, dans les Ardennes, pour y tenter une expérience de cinéma renversante : présenter un faux candidat à l’élection municipale pour détourner la campagne et libérer de nouvelles énergies politiques. Très vite, le comédien Laurent Papot et les citoyens de l’ancienne commune industrielle de 7000 habitants se prennent à leur propre jeu et la fiction s’incruste dans le réel avec fracas. Rencontre avec l’équipe du film, projeté par l’ACID au Festival de Cannes.
L’idée du film est-elle née avec les gilets jaunes ?
Thomas Paulot : On a commencé à écrire à l’été 2018, mais lorsque les gilets jaunes sont arrivés, on s’est posés pas mal de questions. Leurs problématiques entraient en résonance avec pas mal de choses qu’on avait envie de discuter, comme l’auto-gestion, la crise du système représentatif ou la nécessité de trouver des imaginaires alternatifs. On s’est posé la question de savoir à quel point il fallait faire dévier le scénario vers quelque chose qui soit davantage lié à ces questions-là. On s’est même posé la question d’intégrer directement les gilets jaunes, mais au final on est resté accrochés à notre idée de propulser un acteur dans une campagne municipale.
Pourquoi avoir choisi de tourner à Revin ?
TP : On avait commencé à écrire pour le petit village de Tailly dans les Ardennes, où mon grand-père a été maire pendant pratiquement 30 ans, mais on s’est dit assez vite qu’on avait envie d’un autre film, qui traite de questions plus amples avec des problématiques sociales et différents corps sociaux qui coexistent.
Milan Alfonsi (scénariste) : Tout en restant dans les Ardennes, on s’est mis en quête d’une ville plus grande pour trouver des lieux de socialité, des bars, des commerces. On nous a conseillé d’aller dans la vallée de la Meuse où il y a une histoire politique assez puissante, avec un passé ouvrier, syndical, industriel et de fil en aiguille on est tombés sur Revin où certaines rencontres nous ont convaincu de rester.
Comment les Revinois se sont-ils laissé prendre au jeu ?
MA : On n’a pas sorti nos caméras tout de suite parce que la ville avait un passif avec les médias qui se sont beaucoup intéressés à la ville au moment des délocalisations, avec un côté un peu requin. On est donc restés 6 mois là-bas à raison d’une semaine à 10 jours par mois et on a pris le temps de rencontrer du monde, d’expliquer notre projet en toute transparence, d’organiser des réunions publiques et des ateliers.
TP : On est aussi passé par la presse locale et par le centre social pour essayer de faire entendre l’idée du film le plus de monde possible. On avait une grande envie de clarté et de transparence sur la nature du film, sur la nature du personnage de Laurent, on expliquait que c’était pas une caméra cachée, qu’on ne prenait pas les gens au piège, que les gens pouvait décider de participer ou non.
Ferdinand Flame (scénariste) : Et puis on a eu la chance de rencontrer Karim, un ancien candidat à l’élection municipale qui nous a ouvert les portes de pas mal d’endroits.
Est arrivé un moment où vous avez hésité à poser une liste, pour de vrai.
Laurent Papot (comédien) : C’était très important de se laisser cette possibilité. On a même changé notre domiciliation fiscale pour que ce soit possible, il fallait que le questionnement soit brûlant pour les gens. C’était important qu’on ne soit pas simplement en train de jouer, il fallait qu’on puisse se prendre à notre propre piège parce que sinon on aurait pu être vu un peu comme des parisiens qui vont dans un petit village filmer des autochtones. J’étais au même niveau que les gens, pris dans le même système. Si moi j’acceptais de pas comprendre et de faire partie de cette expérience, alors les gens en face pouvaient s’autoriser à en faire de même. À 3 semaines des élections, j’hésitais vraiment et j’ai compris que l’histoire du film racontait un personnage qui se bat avec cette idée-là. C’était Emmanuel Macron et Don Quichotte en même temps quoi.
Les autres : Plutôt Don Quichotte quand même !
Cette expérience a-t-elle changé votre regard sur la chose politique ?
LP : On vit tous la même chose, le manque de confiance envers les politiques, les fractures sociales et le manque de représentativité font qu’on finit par avoir un intérêt relativement faible pour la politique. Sur le tournage, j’ai retrouvé du goût au politique. Comme Faulkner le dit dans Absalon, j’étais une salle de bal de vide qui peu à peu se remplissait de toutes les discussions, de tous les discours, de tous les gens que je rencontrais, et je me souviens de toutes les discussions car les paroles politiques ont toutes leur importance, de l’homme ivre à la fin d’un marché de Noël à l’ancien député des Ardennes.
TP : On s’est retrouvé à faire ce film parce qu’on avait des envies politiques, des intérêts communs pour la question politique. On avait des inspirations, des envies d’utiliser des grandes théories mais on a fait quelques pas de côté au moment du tournage, pour éviter le charabia militant qu’on avait pas envie d’avoir dans le film. On a vraiment trouvé quelque chose de plus neuf, de plus idiot.
MA : On a vite compris que c’était ce qui nous intéressait le plus, de jouer un peu à l’Idiot, ce personnage de Dostoïevski qui s’étonne de tout, qui reprend tout depuis le début donc qui est forcément un personnage radical. C’est en devenant cette entité un peu étrange que Laurent a réussi à libérer la parole de gens que l’on a pas l’habitude d’entendre. C’était notre but : utiliser le cinéma comme excuse et comme prétexte pour réinjecter une envie et une inventivité politique.