MUNICIPALE : « Votez Laurent Papot ! »

Parachuté dans une élection municipale bien réelle pour mener une vraie fausse campagne, le comédien Laurent Papot tente de faire émerger de nouveaux récits avant de se laisser prendre à son propre jeu. Retour sur l’expérience Municipale (actuellement en salles), qui a bien failli faire basculer toute une ville dans la fiction politique.

Difficile de trouver meilleur endroit que les Ardennes pour installer une fiction politique. Coincé entre les forêts du Grand Est et deux boucles de la Meuse, Revin était le cœur battant des Ardennes industrielles avant de devenir un symbole de ses délocalisations. Au plus fort des Trente Glorieuses, quelque 5000 ouvriers travaillent nuit et jour à la construction de lave-linges et d’ensembles-cuisine derniers cris ou coulent le métal dans les fonderies emblématiques de la région. Lorsque la crise de la sidérurgie pointe le bout de son nez, à la fin des années 60, le général De Gaulle en personne promet de reconvertir les « Ardennes vertes » en pôle touristique majeur. Mais les vacanciers ne sont jamais venus, ou du moins pas assez nombreux pour pallier une lente et douloureuse désindustrialisation dont le coup de grâce semble avoir été porté en 2018, avec la fermeture du fleuron local Arthur Martin Electrolux.  

Décidés à filmer la fausse campagne du comédien Laurent Papot – aperçu chez Guillaume Brac ou Vincent Macaigne – au cours d’une élection municipale bien réelle, les auteurs de Municipale se sont très vite orientés vers la vallée. « On avait commencé à écrire pour un petit village dont le grand-père de Thomas [Paulot, le réalisateur, ndlr] avait été maire pendant 30 ans, mais ici, il n’y avait qu’une seule liste et on s’est vite retrouvé à parler de la couleur de la barrière. On avait envie d’une échelle plus large, qui nous permette d’aborder des problématiques nationales comme la crise du système représentatif, les modes d’organisation du pouvoir, la légitimité de l’utopie et de fil en aiguille, on est tombés sur Revin », se souvient Milan Alfonsi, coauteur du film avec Ferdinand Flame. Six mois avant le début du scrutin, en août 2019, les Parisiens débarquent sur la pointe des pieds. « On s’est dit qu’on ne pouvait pas sortir la caméra tout de suite à cause du passif avec les médias, qui se sont beaucoup intéressés à la ville au moment des délocalisations. Il y avait un côté requinon nous prenait pour France 3 Régions », se souvient Thomas Paulot. En amont du tournage, le collectif s’annonce dans la presse locale et organise des réunions d’information dans un ancien PMU reconverti en local de campagne. « Il fallait que les gens comprennent que c’était pas une caméra cachée, qu’en aucun cas on avait envie de les prendre au piège façon Borat », poursuit le réalisateur.  

Macron et Don Quichotte

Très vite, l’équipe croise la route de Karim, lui-même ancien candidat sans étiquette aux élections municipales de 2014, qui les introduit auprès de la population locale et de la bande du « Terminus », un troquet, avec tout ce qu’il charrie d’authenticité. Entre deux demis, les auteurs prennent le pouls de la cité et nouent des relations qui ne vont pas tarder à faire dévier le scénario : « Au départ, on avait des envies plus jargonneuses, mais on s’est vite aperçu que nos idées ne correspondaient pas forcément à la réalité du terrain. On a dû se débarrasser du charabia militant et de toutes nos convictions de Parisiens ». 

De porte-à-porte en réunions publiques, de discussions de bistrot en rencontres avec les figures locales, on commence à se dire que Laurent Papot ferait un excellent candidat, avec pour seul programme de laisser les clés de la mairie aux habitants, une fois élu. « Lors des castings, on emmenait les acteurs dans un bar et on leur demandait de se faire passer pour un candidat en recherche de colistiers, raconte Ferdinand Flame. Laurent est arrivé un peu à l’arrache au rendez-vous et a posteriori, je pense qu’il n’avait même pas lu le dossier qu’on lui avait envoyé. Mais il s’est mis à tchatcher les gens avec une aisance et une conviction démentes. Il assume sa maladresse, mais il est très libéré et très libérateur pour les gens qui le croisent ». En coulisses, Karim pousse les réalisateurs à faire de l’expérience une réalité. La question brûle désormais sur toutes les lèvres des sympathisants de Laurent Papot : ne faudrait-il pas réellement déposer une liste aux prochaines élections ? S’emparer de la dynamique créée par le tournage pour concrétiser des envies politiques manifestes ? Ou au contraire, risquerait-on d’entraver les campagnes de candidats aux démarches similaires, comme les Gilets Jaunes – apparus pendant la phase d’écriture du scénario ? À quelques jours du dépôt de candidature, la frontière entre la fiction devient plus poreuse que jamais : « J’étais pris au piège, dans le même bateau que les Revinois, se souvient Laurent Papot. Tout devenait réel. Puis j’ai compris que l’enjeu du film c’était aussi de voir jusqu’où un comédien était capable de sortir de la représentation pour s’engager sincèrement. C’était Emmanuel Macron et Don Quichotte en même temps quoi » ; « plus Don Quichotte », tempèrent les réalisateurs.  

Une réussite malgré tout 

L’issue du scrutin sera autrement plus classique : une alliance avec l’extrême droite permet à la droite de l’emporter au second tour face à une gauche éclatée. Le long épilogue, qui voit le candidat déchu faire de la retape chez une jeune Revinoise et cueillir des cerises pour la bande du Terminus, nous laisse cependant penser que la vraie politique se joue en dehors de l’élection. « La grande réussite de notre expérience, c’est notre local. Le lieu a permis de réunir des gens de tous horizons, comme une sorte d’auberge espagnole et d’endroit de doléances », note Thomas Paulot. De son côté, Karim se montre encore plus optimiste : « Depuis le départ de Laurent, la population s’est organisée sur Facebook, pour s’exprimer, recommencer à réfléchir, créer du lien. J’espère que la projection du film [prévue à la fin du mois de janvier dans la salle des fêtes de Revin] donnera aux habitants l’envie de se reprendre en main, de ne plus être spectateurs. Et puis… pourquoi pas faire un Municipale 2 ? » Un bel hommage aux auteurs du projet, qui avaient d’abord pensé le dispositif comme un mode opératoire à laisser en « open source », une sorte de manuel de détournement d’élection destiné à libérer de nouvelles énergies politiques et d’autres imaginaires. Affaire à suivre ?