NOME de Sana Na N’Hada

À travers les épreuves du jeune Nome, forcé de quitter son village pour rejoindre les guérilleros opposés à l’armée coloniale portugaise, Sana Na N’Hada filme une chronique aussi envoûtante que critique de la révolution bissau-guinéenne qu’il a lui-même vécue. Une vraie réussite entrecoupée d’images d’archive, programmée par l’ACID au festival de Cannes.

En 1969, beaucoup de chemins peuvent mener à la révolution en Guinée-Bissau. Fuir un village que le sort a placé en plein milieu du champ de bataille ou parcourir des centaines de kilomètres, de son plein gré, pour prêter main forte aux guérilleros. S’accomplir sur le plan individuel ou réaliser le destin de tout un peuple qui souhaite s’affranchir du joug colonial portugais. Protéger sa famille ou protéger sa patrie. Surpris en plein sommeil dans une hutte en feu de la capitale, le futur cinéaste Sana Na N’Hada n’a pas le temps de réfléchir à ses motivations avant de rejoindre le maquis. Les membres du Parti Africain pour l’Indépendance cherchent des hommes capables de prendre les armes. À 16 ans, le jeune Bissau-Guinéen n’en a pas vraiment la carrure. Après quelques années passées à soigner les blessés dans un hôpital de campagne, la figure de la guérilla Amilcar Cabral l’envoie à Cuba pour se former au cinéma aux côtés de plusieurs de ses compatriotes et revenir filmer la naissance du petit pays d’Afrique de l’Ouest.

50 ans plus tard, le cinéaste reste fidèle à sa mission. Bien qu’inspiré par des événements que Sana Na N’Hada a lui-même traversé, Nome est d’abord une fiction, dont l’ouverture – gros plan sur les épaules immaculées d’un gamin de 10 ans – semble poser la question : un individu peut-il porter sur ses épaules toute l’histoire d’une nation ? Chargé de sculpter un instrument destiné aux guérilleros dans le bois d’un gigantesque arbre tropical, enrôlé dans la révolution après avoir été contraint de quitter son village natal, mal engoncé dans son costume de fonctionnaire une fois l’indépendance venue, le jeune Nome semble effectivement endosser un gros morceau du destin de sa patrie. Mais les années de recul aidant, Sana Na N’Hada fraye aujourd’hui son chemin loin du cinéma réaliste et militant qu’appelaient les années 70. Selon une certaine tradition du cinéma africain, les temporalités et les différentes strates de la réalité se croisent et se séparent dans un conte qui mobilise d’abord les sens et les rêves. Certains plans sur la jungle immobile sont étourdissants. Entrecoupée d’images d’archive parfois très sombres, le film laisse également la place à la joie et au combat optimiste des guérilleros. La « menace d’une grande douleur » qui plane au-dessus de leurs têtes assure le suspens. Un peu plus précipité dans sa dernière partie, symbolique du capharnaüm et du désenchantement qui ont accompagné certaines indépendances africaines, cette chronique de la révolution bissau-guinéenne n’en reste pas moins une vraie réussite et en dit beaucoup sur une nation dont nous n’entendons pas parler tous les jours.