OCCUPIED CITY de Steve McQueen

Entre portrait urbain et documentaire fleuve sur l’occupation d’Amsterdam par les Nazis, Occupied City de Steve McQueen est une oeuvre dense et passionnante, questionnant autant la mémoire d’une ville que son présent.  

Dans Les Veuves, Colin Farrell ne voyait le plus souvent la ville qu’à travers la vitre de sa voiture. Dans Shame, Michael Fassbender traversait le New-York nocturne de ses pulsions indomptables en métro. Avec Occupied City, Steve McQueen nous fait arpenter Amsterdam en tramway. Le cinéaste connaît bien la capitale des Pays-Bas : il y vit depuis 25 ans. D’une improbable durée de 4h30, avec un entracte comme dans les films de jadis, Occupied City ressemble à ces vieux documentaires d’avant-guerre, où l’on pensait encore que le cinéma serait l’art définitif pour représenter la vie moderne de la cité, Berlin, Symphonie d’une ville ou L’Homme à la caméra. D’ailleurs, bien que globalement de facture très classique, certains audacieux mouvements de caméra du virtuose chef op’ néerlandais Lennert Hillege ressemblent presque à du Vertov. Contournant la Maison d’Anne Frank, sa caméra nous emmène tout de même à la découverte d’autres institutions locales – le Rijkmuseum, le Quartiers Rouges… 

Si Steve McQueen vit à Amsterdam, c’est qu’il a épousé une hollandaise, la réalisatrice et historienne Bianca Stigter. Occupied City est basé sur son ouvrage Atlas of an Occupied City, Amsterdam 1940-1945, qui documente lieu par lieu l’occupation de la ville par les nazis, et en particulier l’organisation de la répression puis de l’extermination de dizaines de milliers de juifs qui l’habitaient. En anglais, le texte de la voix off qui accompagne presque l’intégralité du film est écrit par Stigter. Lu sans emphase par la comédienne Melanie Hyams, il est objectif, précis et glaçant. Pour chaque courte séquence, une adresse, et la description factuelle de la transformation par la guerre et l’occupation de l’usage du lieu – comme ce théâtre réquisitionné en centre de déportation – et une explication des actes horribles mais aussi parfois héroïques qui y ont été perpétrés.

Aucune image d’archive n’accompagne ces informations. Au contraire, Steve McQueen filme l’Amsterdam contemporain, les lieux aujourd’hui, ce qui s’y trouve. Parfois, des stèles ou des monuments commémoratifs. Mais le plus souvent, comme nous l’indique inlassablement la voix off, les bâtiments ont été détruits, remplacés par d’autres, qui n’ont plus rien à voir, et une vie toute différente s’y organise – et c’est bien normal. Se provoque alors, et c’est l’un des génies d’Occupied City, un écho étrange, une confrontation parfois cocasse et parfois troublante entre les évènements entendus et ceux montrés. À l’image, McQueen suit les évènements importants qui ont marqué l’Europe occidentale ces dernières années, et la manière dont ils affectent la ville, du développement des mouvements écologistes au mariage pour tous. En particulier, pour une bonne partie du film, la crise du Covid-19, les confinements, les grandes campagnes de vaccinations, les manifestations pro et anti-vax. À nouveau, des bâtiments étaient détournés de leur emploi primitif. À nouveau, il était question de couvre-feu, et on employait des phrases comme « pour la première fois depuis la Seconde Guerre Mondiale ». On a galvaudé les mots de résistance, d’apartheid et même d’holocauste, croyant à tort bien connaître ce passé dont les livres d’histoires nous ont abreuvé – les survivants étant de moins en moins nombreux. Avec Occupied City, le prolifique cinéaste britannique, nous propose une nouvelle approche de l’histoire et de la mémoire, digne de la physique quantique, faisant vivre simultanément dans la ville passé et présent.