OMAR LA FRAISE d’Elias Belkeddar

Omar la fraise (en salles ce 24 mai et présenté à Cannes hors-compétition il y a quelques jours) est le premier long métrage d’Elias Belkeddar, jeune cinéaste remarqué pour sa participation au scénario d’Athena, un court à la Semaine de la critique mais aussi le clip haut en couleur du morceau « Disco Maghreb », de DJ Snake. Nous avons ici affaire à un cas d’école : et si l’acteur-hackeur Benoît Magimel était en mesure de pirater un film ?

Omar la fraise est un film impur ; et même monstrueux. Une sorte de siamois de cinéma, fondant deux identités en un seul corps. La première est attendue : Omar (Reda Kateb), gangster sur le retour, s’exile dans une villa des faubourgs d’Alger pour échapper à une peine de prison en France. Il y trouvera l’amour et peut-être même la rédemption. La seconde se fait une place au forceps, s’immisce au sein du film comme un kyste s’incruste dans l’organisme : Roger (Benoît Magimel), ami d’enfance d’Omar, l’accompagne dans sa retraite forcée sans autre objectif que celui de divaguer, errer, vagabonder tel un rêveur sans attache – si ce n’est celle de la dope. Ce film-ci, presque indépendant du premier, offre à Omar la fraise son lot de scènes hors du commun, libres et orphelines : un Magimel dans une forme « post-pacifictionnelle », dégagé de toute entrave narrative, lunettes fumées sur le pif, enchaîne les gins tonics, les traces, les magouilles, les pas de danse et les étirements en jogging sans se soucier des à-côtés. Son terrain de jeu presque unique, façon huis clos, se résume à une terrasse en friche baignée d’un soleil apocalyptique, surplombant une villa abandonnée. Le sanctuaire de Roger. Ce lieu irréel, au-delà de sa puissance d’évocation visuelle, n’est autre que la métaphore de Magimel – non pas le personnage mais l’acteur : un roi que l’on a cru déchu, nimbé aujourd’hui d’une étrangeté mystique ; seul au monde. Il offre évidemment à Omar la fraise toute sa singularité, renforcée par quelques gueules ou lieux jamais vus au cinéma et croisés au gré de rares échappées dans Alger, à commencer par une course de chameaux digne de Bullitt.   

Roger ou l’obscénité décontractée
On devine Elias Belkeddar tiraillé par deux ambitions difficilement compatibles : donner à son film des allures de respectabilité, le doter d’intrigues tenues et d’une certaine uniformité, en guise de gage de qualité pour l’avenir – il n’a que 35 ans ; ou bien se nourrir de ce que propose Magimel, accepter sa main tendue et laisser Omar la fraise devenir le nouveau véhicule de cet acteur stratosphérique, traçant son sillon fait de volutes et virages souples. Ce n’était probablement pas l’intention initiale. Elle est devenue la plus fertile, et de loin, si tant est que l’on accepte le pas de côté tout en souscrivant à cette intuition : une œuvre à la forme hétérodoxe, faite d’appendices et de monstruosités solitaires, de parties pirates ne se conformant pas au tout, touchera toujours à une forme de beauté que la maîtrise réduit et ne cesse d’abîmer. Un regret ? Omar la fraise aurait pu, et probablement dû, acter ce renversement des priorités et s’appeler Roger ou l’Obscénité décontractée.