PAOLIWOOD : en quête du Braveheart corse

En 2019, un trentenaire a eu une idée folle : proposer à Mel Gibson de réaliser un film sur Pasquale Paoli, père de la nation corse indépendante au XVIIIe siècle. En attendant son accord, la série documentaire Paoliwood (disponible en ligne sur France.tv.) retrace cette quête absurde sur quinze épisodes.

Il avait enregistré le film sur VHS lorsqu’il passait sur TF1. Enfant, Lionel Dumas-Perini adorait Braveheart. Mais à 18 ans, alors qu’il étudie à l’université de Corte, la vie romancée de William Wallace – héros mythique de la première guerre d’indépendance écossaise – s’apprête à le toucher différemment : « J’ai remarqué de nombreux parallèles entre l’histoire de Wallace et celle de Pasquale Paoli, se souvient-il. Les pères des deux personnages avaient été impliqués dans des semblants de révolutions. Et ils ont dû s’exiler pour fuir la répression. Chacun est revenu instruit, ce qui était alors rare sur leurs territoires. Et après s’être forgé une culture révolutionnaire, ils sont revenus avec le désir de combattre l’occupant avec un esprit bien fait plutôt que par la force. » Sur son lit, le jeune homme réalise doucement que « tous les éléments étaient réunis pour faire une sorte de Braveheart corse sur la vie de Paoli »

Paoliwood (2023)

Liqueur et langues mortes 
Puis les années ont passé. Dumas-Perini est devenu vidéaste. Aujourd’hui, il filme et produit des reportages pour la télé locale, des vidéos institutionnelles pour la mairie de Bastia et la collectivité de Corse. En 2021, Vice TV diffuse son premier documentaire, RN 193, sur l’histoire de la route qui relie Bastia à Ajaccio. Un jour de décembre 2019, il est en montagne pour un sujet de FR3 Corse sur un producteur de farine de châtaigne. En pleine interview, le paysan part dans son garage avant de revenir avec « un bidon rempli de liqueur de mûre ». Sur le chemin du retour, désinhibé, Lionel ouvre son cœur à son monteur, Oleksiy Dokuchayev : cela fait dix ans qu’il rêve de véritablement proposer à Mel Gibson de réaliser un film sur Paoli. Fini « les histoires de voyous et les comédies à la plage », le biopic pourrait « redorer le blason de la Corse et faire connaître un homme qui mérite que le monde entende parler de lui ». Tant qu’à faire, le duo se dit qu’il y a un documentaire à imaginer sur cette folle entreprise, une sorte de making of. Après une pandémie et un peu de recherche, les deux hommes lancent le projet en 2021 avec deux autres techniciens, Julien Valli et Julien Fontaine. Problème : personne dans cet attelage n’a de réseau dans le cinéma. Et encore moins parmi les a-listers d’Hollywood. « Je ne savais même pas qu’IMDB pro existait, confie Dumas-Perini. Je me suis dit qu’il devait être sur les réseaux sociaux. Sauf qu’il est old school, Mel. Il n’a pas Instagram. » L’équipe du documentaire, intitulé Paoliwood, trouve finalement les e-mails des agents, publicistes et autres intermédiaires entre le monde et la star. « On a eu zéro réponse, s’assombrit le réalisateur. Quatre pèquenauds sur une île en Méditerranée, cela n’intéresse pas ces gens-là. » Mais, il a beau savoir que cela sonne un peu bête, Lionel Dumas-Perini se sent « investi d’une mission ». Avant de se lancer, il réalise une grande étude au sein de la population insulaire en posant une question : qui aimeriez-vous voir réaliser un film sur Pasquale Paoli ? « 80 % répondaient Mel Gibson, assure-t-il. Après Braveheart, il était dans The Patriot, sur l’indépendance américaine. Ça a marqué les gens. Puis il a tourné un film en araméen et un en maya. Le fait qu’il utilise des langues mortes, cela permet de rêver d’entendre du Corse dans un film hollywoodien. » 

Paoliwood (2023)

George Washington et une sitcom 
Et il se trouve qu’il existe des liens entre Pasquale Paoli et le pays de Mel Gibson. Si la traque démarre en Corse, sur un tournage d’un épisode de La Flamme avec un Jonathan Cohen interloqué par le projet, Paoliwood fait voyager à Cannes, en Écosse et surtout aux États-Unis. À Philadelphie, devant la maison de Thomas Jefferson, Dumas-Perini lit les mots « life, liberty and the pursuit of happiness ». Selon le réalisateur, cette notion de bonheur pour une population est inspirée de la Constitution corse de 1755, souvent considérée comme la première constitution démocratique de l’histoire moderne. « George Washington et Thomas Jefferson avaient lu une biographie de Paoli, poursuit-il. C’était un personnage des Lumières, qui échangeait avec Rousseau et Voltaire. Pour eux, c’était une inspiration qu’un petit peuple de Méditerranée soit parvenu à foutre dehors un occupant comme la puissante République de Gênes. Cela voulait dire que les Américains pouvaient battre les Anglais. » Dans la série, un professeur de Princeton explique qu’une taverne en banlieue de « Philly »avait été baptisée en hommage au père de la nation corse. Autour, s’est construite une bourgade. En 2023, la ville de Paoli, Pennsylvanie, compte plus de 6 000 âmes. La série s’y aventure. « C’est un bled américain moyen comme il doit y en avoir des milliers, décrit Dumas-Perini. Des zones résidentielles, de beaux pavillons et des zones commerciales plates où la plupart des magasins portent le nom de Paoli. Par contre, la plupart des locaux ont oublié pourquoi. » 

Paoliwood (2023)

Ils ont beau vivre dans le même pays, les habitants de Paoli sont presque aussi éloignés d’Hollywood que le beau-frère de Dumas-Perini, éleveur de brebis dans la région d’Aleria. C’est pourtant ce dernier qui offre à Paoliwood sa première piste américaine. Un œil sur son troupeau, il se souvient que l’actrice qui campe « la copine de Malcolm », dans la sitcom du même nom, une certaine Tania Raymonde, est originaire de Bastia. Rapidement, Dumas-Perini découvre qu’il connaît son cousin, Paul-Henri, technicien chez EDF, qu’il contacte immédiatement. La beauté simple du projet repose ici : une quête irrationnelle menée pendant deux ans avec une volonté insensée au gré de vagues connections, de coups de fil incompréhensibles, de prières au patron des causes perdues. Ainsi, un gamin avec qui l’on partageait les repas à la cantine mène à une actrice vue dans Lost et une popstar bastiaise s’avère être l’épouse d’un boxeur chrétien qui s’entraîne dans la même salle que la femme du réalisateur de La Passion du Christ« La plupart de nos pistes sont parties de la diaspora, note Dumas-Perini. On savait que nous n’étions rien, que nous venions de nulle part, mais qu’on faisait partie d’un petit peuple qui a traversé les âges et les continents. Il y a des Corses partout et ils jouent généralement le jeu s’il s’agit d’aider les gens du pays. » Mais ces insulaires ont-ils mené l’équipe de la série à Mel Gibson ? « L’objectif reste qu’il fasse vraiment ce film sur Paoli, évite Dumas-Perini. Notre but était de s’assurer que Mel Gibson en ait entendu parler. Vous verrez ! De toute façon, le plus important, c’est le voyage. Pas la destination.»

Tous propos recueillis par T.A.

Paoliwood, maintenant disponible sur France.tv