PETITE SOLANGE d’Axelle Ropert

Avec Petite Solange, Axelle Ropert retrouve la forme et le souffle du mélodrame intimiste et familial qu’elle avait déjà abordé, de belle manière, dans son premier long métrage, La Famille Wolberg. Là encore, c’est l’histoire d’une implosion annoncée. Et c’est de nouveau bouleversant.

Il n’est plus question d’un père craignant maladivement de voir sa fille partir, comme dans La Famille Wolberg. Cette fois, c’est l’inverse : Solange, 14 ans, découvre avec désespoir que ses parents sont en train de se séparer. Et c’est à travers le regard de cette ado aimante que la cinéaste nous raconte l’atomisation du noyau familial. Point d’hystérie ici. Ropert évite soigneusement de verser dans un maelstrom de cris, de postillons et de larmes, préférant une mise en scène cadrée, tenue et ténue, au service d’une atmosphère de faux calme au bord de l’ébullition, où vibre, en contrepoint de dialogues articulés de façon antinaturaliste, la partition émouvante de Benjamin Esdraffo. Ce refus du « naturel », qui a pu lester les deux précédents films de Ropert d’un brin de distanciation affectée, trouve dans Petite Solange son propre chemin vers une forme de ligne claire parfaitement synchrone avec l’imaginaire de son héroïne, pas encore sortie de la chrysalide de l’enfance.

PETITE SOLANGE 2021 de Axelle Ropert Philippe Katerine Lea Drucker. Collection Christophel © Aurora Films

Cette clarté de trait fonctionne comme une page blanche, un papier buvard absorbant tout ce que Solange, attentive au moindre signe d’explication, capte de son environnement. Ainsi la ville de Nantes pourrait évoquer Jacques Demy (on retrouve le Passage Pommeraye, immortalisé dans Lola), si Ropert ne la filmait pas comme un carrefour ouvert aux cultures extérieures : des références à la littérature russe ou à la culture italienne, un plan sur le « Taj Mahal » (version restaurant indien) déplacent ce récit pourtant très peu mobile, car prisonnier avec Solange de son enfer domestique, comme le reflet d’un désir d’aventures exotiques. Dans la tête de Solange se joue un big bang émotionnel. Son visage éclairé par un plaisantin en pleine récitation scolaire évoque un astre sorti de son axe. Son monde pastel vacille et le film raconte comment elle va tenter de se stabiliser dans la galaxie désenchantée des adultes – un passage spatio-temporel douloureux figuré dans le film par une brutale ellipse. Un trou de ver.

PETITE SOLANGE 2021 de Axelle Ropert Lea Drucker Jade Springer. Collection Christophel © Aurora Films

Perdue dans l’espace

L’allégorie du voyage intersidéral tournoie ainsi autour du film, comme une projection aux accents SF de ce que vit intérieurement Solange, un satellite noir dans son ciel rose bonbon. Lorsqu’une étoile meurt, découvre la jeune fille lors d’un cours de sciences sur la vitesse de la lumière, on ne s’en rend pas compte à l’instant, mais des années plus tard. Ce décalage entre ce que l’on saisit et le réel résonne bien sûr avec l’extinction du soleil parental, que Solange n’avait pas vue venir, alors que son frère aîné, lui, avait tout compris. Partagée entre sa détresse d’incomprise et une curiosité d’enquêtrice qui évoque la vitalité obstinée d’Antoine Doinel chez Truffaut, Solange tente de saisir ce qui se joue derrière les masques trompeurs de ses parents (excellents Léa Drucker et Philippe Katerine, elle en tragédienne coincée dans un mauvais boulevard, lui étonnant dans un rôle dramatique). Elle avance à contretemps dans un jeu d’échanges de regards (on n’entendra jamais les disputes parentales, perçues par bribes et pantomimes), d’arrêts sur image et de correspondances colorées finement orchestrés jusqu’au climax final débordant de forces contraires, entre la souffrance retenue et l’éclaircie mélancolique. La demeure familiale s’y révèle soudain en mausolée de l’enfance, et le déchirant discours de Solange, 16 ans désormais, en lumineuse oraison funèbre.