PLEASURE de Ninja Thyberg

La réalisatrice suédoise Ninja Thyberg n’a pas froid aux yeux. Avec Pleasure, son premier longmétrage, elle dresse un état des lieux cinglant du rêve américainet brosse un portrait au vitriol d’une société post-MeToo encore gangrenée par le patriarcat et la misogynie.

« Vous êtes ici pour le travail ou pour le plaisir ? », demande un agent d’immigration à Linnéa, blonde incandescente de 19 ans. La question ne se pose pas : la jeune Suédoise a quitté son pays de bigots pour prendre son pied et palper quelques billets par la même occasion. Nous sommes à Los Angeles, dans la Porn Valley où fleurit depuis 40 ans l’industrie du X. Linnéa ne s’embarrasse pas de morale : « Je veux devenir la plus grande star mondiale du porno. » Une bouche en forme de cœur façon Lolita, regard frondeur de l’ado rebelle : la voici devenue Bella Cherry. L’ascension vers le sommet sera semée d’embûches. Porn stars carriéristes, producteurs cupides, agents véreux et acrobaties érotiques plus hardcore les unes que les autres attendent Bella au tournant.

Nouvelle chaire

Comment ne pas songer à Showgirls à la lecture du synopsis de Pleasure ?Ninja Thyberg prétend n’avoir jamais vu le film de Paul Verhoeven. Les ingrédients sont pourtant les mêmes : Bella se la joue « new girl in town » et c’est d’ailleurs le rôle que lui assigne une industrie majoritairement dominée par des hommes. Mais, qu’il soit nu ou très légèrement vêtu, son corps recouvert de tatouages n’est jamais érotisé par la réalisatrice : « J’ai beaucoup réfléchi sur le regard masculin, sur son pouvoir et sur la façon dont on le reproduit avec une caméra. », assure-t-elle. C’est au sein de la narration, c’est-à-dire des films (pornos) dans le film, que la caméra transforme Bella en objet de fantasme. Thyberg filme à la manière d’un dialogue muet le rapport entre son personnage principal et les différents objectifs qui participent à sa fétichisation : « Bella produit une image d’elle-même et la visualise en même temps. C’est très intéressant de voir comment on peut s’objectiver et rester sujet en même temps, un peu comme si on devenait le marionnettiste de soi-même », révèle la cinéaste. Non contente de pointer du doigt un régime d’images phallocratiques, elle remue le couteau dans la plaie en déconstruisant le discours hypocrite d’une industrie lucrative qui donne l’illusion à ses ouvrières d’avoir la maîtrise totale de leur matière première. On pense irrévocablement à cette phrase du King Kong Théorie de Virginie Despentes : « Le porno se fait avec de la chair humaine, de la chair d’actrice»

Pleasure est également une expérience intime de l’appréhension d’un corps et de sa sexualité, tous deux formatés par une pornographie misogyne et normative. Ceci dit, Thyberg ne pose jamais un regard réprobateur sur l’industrie, mais tend plutôt un miroir à notre humanité pour mieux voir sa partie refoulée. A travers les us et coutumes iconoclastes (fantasmes interraciaux, BDSM, etc.) du porno s’esquisse donc le portrait d’une société rongée par un racisme systémique. La démarche de la cinéaste, loin d’être manichéenne, se rapproche alors du documentaire mâtiné de sociologie et de féminisme marxiste. Pleasure exhibe sous un emballage rose pastel – et c’est là son atout premier – les rapports de domination et d’oppression au pays des verges turgescentes et des vulves magiques.