RIEN À FOUTRE : « Il y a une espèce d’humanité qui transpire chez Adèle… »
Le tandem Emmanuel Marre-Julie Lecoustre revient sur les coulisses de Rien à foutre, leur premier long métrage de haut vol où Adèle Exarchopoulos enchaîne les vols et les fêtes sans lendemain avant de perdre pied.
On devine un important travail de préparation derrière ce tableau des compagnies low cost ?
Emmanuel Marre : C’est quatre ans de travail documentaire en amont et quatre mois de repérages, lors desquels on a pris énormément de vols low cost, suivi des formations, rencontré des hôtesses et des stewards qui nous ont raconté leurs histoires. À l’exception d’Adèle, les comédiennes sont toutes de vraies hôtesses de compagnies low cost rencontrées en casting sauvage, qu’on est venus aborder à minuit sur des parkings d’aéroports…
Julie Lecoustre : D’ailleurs on est très attachés au fait que les comédiennes « non professionnelles » soient considérées comme des interprètes du film à part entière. D’une certaine manière, c’était même plus facile pour elles car on leur demandait de rejouer leur quotidien, comme pour recréer une matière documentaire. Ensuite il a fallu recréer toutes les conditions d’un vol réel ! Affréter un avion, créer une compagnie de toutes pièces, des uniformes… On a aussi fait venir des vrais clients, à qui on a offert des allers-retours Paris/Barcelone et une fois à bord, on organisait des vrais services, genre duty free. Les hôtesses faisaient une annonce et puis on commençait à tourner.
Comment Adèle Exarchopoulos s’est-elle adaptée dans ce tournage en conditions réelles ?
E.M. : Elle a été instinctive, à l’écoute… C’était vraiment un plaisir de faire quelque chose ensemble. Il y a une espèce d’humanité qui transpire chez Adèle, sa mélancolie, sa capacité à switcher entre le « rien à foutre » et des moments vraiment drôles.
J.L. : Et puis elle a été d’une sincérité incroyable. Quand elle discutait avec les hôtesses, elle leur demandait : « T’es payée combien ? », « c’est quoi les moments qui te font chier ? », « t’es amoureuse ? » C’était beau parce qu’elle a réussi à retrouver la vérité des discussions à bord. On avait très peur d’une actrice intellectualisant la chose. Entre elles, les hôtesses ne se demandent pas : « Et toi, qu’est-ce que tu vis de notre monde contemporain ? » Et en même temps, elle avait très envie de parler de l’époque.
Justement, qu’est-ce que le métier d’hôtesse de l’air raconte de notre époque ?
E.M. : Ça illustre quand même bien le « rien à foutre ». Le « rien à foutre », c’est plusieurs choses : c’est « je m’en fous », c’est « je n’ai rien à faire » mais c’est aussi le rien à foutre du néolibéralisme. S’il y a bien un secteur au monde qui fait des doigts d’honneur à tout le monde, minute après minute, c’est celui des compagnies low cost. Donc, on avait envie de montrer un personnage que ça ne dérange pas plus que ça sur le plan individuel d’évoluer dans un environnement de travail aussi compliqué, et de voir jusqu’à quel point sa position était tenable. Parce que, évidemment, ce n’est pas tenable, il y a un moment où on n’arrive plus à s’auto-convaincre. L’idée, c’était aussi de dire que si l’addition des rien à foutre individuels devient un rien à foutre collectif, alors là, on est foutu !