TROIS FILMS NOIRS ARGENTINS

Que la bête meure de Román Viñoly Barreto (1952)
Le Vampire noir de Román Viñoly Barreto (1953)

Un meurtre pour rien de Fernando Ayala (1956)

Le film noir. Voilà un genre qui charrie à sa seule évocation tout un imaginaire peuplé de durs à cuire tirés à quatre épingles, de femmes fatales redoutables en robe de soirée, de somptueuses photographies en noir et blanc, d’enquêtes sordides, de privés corrompus et de gangsters violents. Des intrigues sombres sondant l’âme humaine – le plus souvent masculine –, prenant place à New York, Chicago, Los Angeles ou toute autre ville aussi cannibale que graphique. Par ailleurs, peu de genres sont aussi intrinsèquement liés à une nation ; en l’occurrence les États-Unis. Ce qui est, somme toute, assez logique, tant la patrie des Nicholas Ray et Orson Welles a préempté le polar hard boiled et sa stylisation dans les années d’après-guerre. Mais impossible, aujourd’hui, de leur laisser l’hégémonie du genre. D’abord, parce que des productions telles que Le Faucon maltais (John Huston, 1941) ou Assurance sur la mort (Billy Wilder, 1944), aujourd’hui considérées comme des classiques, étaient perçues comme des séries B débitées à la chaîne là où Français, Allemands et Anglais élevaient au rang de chefs-d’œuvre leurs récits de crime et de vengeance. Ensuite, parce que certains succès américains sont signés par des réalisateurs européens. Aujourd’hui, Camélia  met en lumière un autre continent s’étant essayé au film noir : l’Amérique du Sud et, plus précisément, l’Argentine.

Le pessimiste et ironique Un meurtre pour rien, la relecture désespérée de M le maudit baptisée Le Vampire noir et le vicieux Que la bête meure :voici trois films qui transposent dans la bourgeoisie rance argentine, dans les rues ensoleillées et sèches de Buenos Aires ou dans ses égouts les plus poisseux les grands thèmes des polars des fifties. Avons-nous alors le droit de parler de « film noir » ? Assurément ! La chaleur en plus, le détective privé en moins. Pour le reste, on patauge en plein dedans. Cupidité, vendetta, fatalité, violence, loi du hasard… Sur le fond, on y est. Clair-obscur et perspectives étranges inspirées de l’expressionnisme allemand, références marquées au Troisième Homme pour Le Vampire noir, adaptation de romans policiers (Nicholas Blake pour Que la bête meure)… Dans la forme et l’imaginaire, on y est toujours. Et pour ce qui est des héros archétypaux, ça marche aussi : le lâche paranoïaque pensant réussir le crime parfait et rongé par l’ambition ; le tueur d’enfant maniaque ; l’écrivain à succès obstiné vengeant la mort de son fils. Ici, on convoque pêle-mêle le veule de House by the River(Fritz Lang, 1950), le perfide dégénéré de La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955)et le déterminé de Règlement de comptes (Fritz Lang, 1953).
Par Quentin Convard

Chronique dans le Sofilm n°103, actuellement en kiosque.