SALAM : Diam’s et la fabrique des images
Les festivaliers l’attendaient comme le Messie sur la Croisette. Elle a pourtant préféré garder les pieds sur terre plutôt que de fouler le tapis rouge sous 35° à l’ombre. Surtout, Mélanie Diam’s a trouvé depuis bientôt 15 ans son Infini Pardonneur. L’ex-rappeuse convertie à l’Islam se dévoile (pardonnez l’expression) avec candeur dans le documentaire Salam, exercice autobiographique par trop balisé dont l’exécution interroge la pertinence des images médiatiques quand on veut « faire cinéma ».
L’enfer cannois, c’est les autres. Surtout dans les files d’attente. Ceux qui vous beuglent des avis péremptoires dans les oreilles. Ceux qui retracent à haute voix les grandes étapes de leur marathon cinéphile. Ceux qui crient à la Palme après chaque séance. Des clichés et lieux communs dont s’abreuve la cinéphilie cannoise, pourtant rassasiée d’images dix jours durant. Au terme de cette 75ème édition, Salam promettait d’apporter un regard neuf sur une étoile filante du rap français happée dans un trou noir au début des années 2010. Impossible de ne pas flairer le coup médiatique devant ce documentaire inédit co-réalisé par Mélanie Diam’s : BrutX à la production, une présentation en séance spéciale à Cannes et une interview lénifiante d’une trentaine de minutes accordée en exclusivité à Augustin Trapenard pour Brut… Salam coche toutes les cases du reportage TF1 calibré pour faire pleurer dans les chaumières le dimanche soir. On y découvre le portrait d’une ancienne chanteuse révoltée reconvertie dans le louable business de la charité. Une vieille rengaine usée jusqu’à la corde. « A force de courir dans tous les sens, ma vie n’en avait plus aucun », témoigne devant la caméra de Houda Benyamina (Divines) et Anne Cissé (Lupin) celle à qui on crut bon un temps d’assigner le rôle bien accommodant de « modèle pour les filles de banlieue ». Trois albums, l’ascension au sommet des charts, l’amour inconditionnel du public… Et l’inéluctable chute, sans drogue ni alcool, mais avec moult cachetons prescrits sur ordonnance pour soigner une dépression chronique que Mélanie Georgiades (un patronyme d’ailleurs jamais entendu dans le documentaire) se trimballe depuis la plus tendre enfance.
A l’origine de cette descente aux enfers, un cliché publié en 2008 par Paris-Match. On y découvre la chanteuse drapée dans un tchador à la sortie d’une mosquée. « Diam’s cherche son chemin ». Le poids des mots, le choc des photos. L’inconscient collectif s’embrase. En troquant sa casquette contre le voile, Diam’s a bel et bien commis « la boulette » aux yeux de son public. La voici de l’autre côté, celui que conspue le président au pouvoir, Nicolas Sarkozy, celui que l’extrême-droite jette en pâture à une France nourrie au colonialisme rance. Sans aucun recul critique, Houda Benyamina et Anne Cissé reproduisent à leur tour un fantasme intrinsèquement barbare dans la mise en scène de ce climax médiatique. Diam’s, le vent dans le(s) voile(s), rejoue son attestation de foi sur une plage de l’île Maurice, théâtre attesté de sa révélation mystique. Difficile de ne pas esquisser un rictus devant cette mise en scène grossière, pourtant inspirée d’une histoire vraie. Paysages capturés en « dronorama », chœurs tragiques dignes d’une BO hollywoodienne… Les réalisatricesnoient leur documentaire dans l’imagerie publicitaire des agences de voyage, la caution malickienne en plus pour « faire cinéma », absurde Graal prisé des festivaliers. Les pieds dans le sable, dérivant vers un horizon lointain, Diam’s marche sur les traces de Jessica Chastain dans The Tree of Life, la marmelade philosophique en moins. De sourate en sourate, la voici qui se prend de passion pour les prophètes sous les sunlights des tropiques. Le régime d’image grossier de Salam atteint à partir de là son point de non-retour.
Si on ne peut remettre en question la sincérité de Diam’s, impossible cependant de ne pas pointer du doigt la complaisance d’Anne Cissé et Houda Benyamina, sans doute les yeux trop embués de larmes pour bien cerner leur sujet. Après les bancs de poissons façon National Geographic, Salam nous emmène contempler la « beauté du monde » au Mali où Mélanie Diam’s passe désormais une partie de son temps auprès de petits orphelins démunis. La main sur l’épaule de ces « belles âmes », la voici piégée dans l’imagerie nauséabonde du sauveur blanc. Ce dispositif suspect se superpose aux éclairages studio façon Harcourt dans lesquels la garde rapprochée de Diam’s (sa mère, Vitaa, Nicolas Anelka, etc.) témoigne de son passage des ténèbres à la lumière. « Elle continue de poser une question à la France », peut-on entendre dans les dernières minutes du documentaire. A force de se vautrer dans une infecte imagerie exotique, Salam interroge moins l’islamophobie hexagonale qu’un indécrottable racisme endémique dont il porte lui-même les stigmates. Une paix (« salam » en arabe) bien cher payée pour l’âme tourmentée de Diam’s…