SEPTEMBRE SANS ATTENDRE de Jonás Trueba

Après 15 ans de vie commune, Ale et Alex ont une idée un peu folle : organiser une fête pour célébrer leur séparation. Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision.  Par Benjamin Cataliotti.

Sont-ils fous, ces personnages, à courir ainsi après le plaisir alors que tout le monde voudrait les voir pleurer ? Dans À la recherche du bonheur, le philosophe américain Stanley Cavell invente en 1981 le concept de « comédie de remariage » pour évoquer ces comédies hollywoodiennes qui, telles New York-Miami, Indiscrétions ou Cette sacrée vérité, mettaient en scène des couples divorcés ou séparés ; lesquels, en cherchant les moyens de s’aimer et de se réconcilier, réapprenaient surtout à vivre. Ale et Alex éprouvent-ils des difficultés à vivre ? Sur les raisons de leur séparation future, Septembre sans attendre ne dit rien. On les cueille, dès le premier plan, décidant depuis leur lit conjugal d’organiser, non pas un éloignement à l’amiable, mais rien de moins qu’une fête de rupture. Idée saugrenue, provocante, agressive même, en tous cas pour les membres de leur entourage. Choqués, ces derniers réagissent parfois avec une telle incrédulité qu’on finit par ne plus savoir si ce qui est reproché à Ale et Alex, c’est bien de se séparer, ou de vouloir le faire avec le sourire. Ainsi, confrontant l’attitude insolemment joyeuse de son duo au conservatisme de leurs proches, Septembre sans attendre fait de l’idée la plus tristement banale du monde – l’étiolement de l’amour – la source d’une révolution contre la tyrannie du quotidien.

Retour de bâton ou peignoir en soie ?

Jonás Trueba, cinéaste biberonné aux contes moraux d’Éric Rohmer, et Itsaso Arana, son actrice, coscénariste et complice de toujours, auraient-ils inventé la comédie de dé-mariage ? Jouant jusqu’à l’excès avec les références meta qu’autorise ce genre hybride, le film s’amuse à voir en Ale une Katharine Hepburn moderne, notamment quand la jeune femme décide, sur un coup de tête, de s’acheter un peignoir en soie et de flirter avec le plombier sous les yeux excédés d’Alex ; comme ça, juste pour éprouver les limites de la provocation. Que cette idée de fête de séparation ne soit même pas de leur fait, mais provienne des théories fantasques du père anarchiste de l’héroïne, ne fait qu’ajouter au caractère subversif de sa mise en application. Ce n’est pas un hasard si le meilleur moment du récit est celui qui voit Ale expliquer à son paternel qu’elle a décidé de mettre les préceptes punks qu’il lui a inculqués en application. Spectacle jouissif que de voir ce vieux philosophe étourdi, obligé d’observer sa meilleure élève confronter ses théories au réel. Pour le meilleur et… forcément pour le pire ? Adoptant le point de vue de cet entourage décontenancé, le spectateur se surprendrait presque à craindre ce retour de bâton tant annoncé. C’est pourtant toute la grâce de ce film que de ne jamais punir ses personnages. Si l’intrigue laisse parfois place à la mélancolie, ce n’est que pour mieux entourer cet optimisme d’une profondeur qui le rend d’autant plus précieux. C’est qu’il en faut, du courage, pour rester gai quand tout le monde nous implore de faire la tête. Alors, quitte à imiter les personnages de Jonás Trueba, adeptes des citations à longueur de films, rappelons-nous les mots de Gilles Deleuze, autre éminent philosophe cinéphile : « Le pouvoir exige des corps tristes. Le pouvoir a besoin de tristesse parce qu’il peut la dominer. La joie, par conséquent, est résistance, parce qu’elle n’abandonne pas. »

Septembre sans attendre (Quinzaine des Cinéastes), en salles le 28 août.