STUART GORDON : “Chaque peur cache un désir”

– STUART GORDON : “Chaque peur cache un désir” –

Derrière Re-Animator, Castle Freak ou encore Space Truckers, se cachait un fan de Lovecraft et d’horreur qui a fait ses débuts dans le monde du théâtre d’avant-garde et laissé quelques bijoux populaires (Edmond). Un homme qui a, au cours de sa vie, passé des dîners mémorables avec John Landis, Wes Craven, Guillermo del Toro…, et a même eu des disputes politiques avec Dennis Hopper. Stuart Gordon est mort à l'âge de 72 ans. Revoici notre entretien avec quelqu’un qui avait peur de ses propres films. Par Axel Cadieux (entretien paru dans Sofilm n°57)

 
Avec votre parcours, on se demande parfois dans quel contexte familial vous avez grandi…
Mon père était shampouineur et ma mère travaillait dans le social, nous étions socialistes. Quand il était bébé, mon père était même bercé par l’anarchiste russe Emma Goldman, amie de ses parents. J’ai un frère, David, un écrivain assez connu dans le milieu de la littérature culinaire, il a eu un petit succès avec un livre sur la manière de cuisiner les insectes. J’ai testé et j’adore. Ça m’a même donné quelques idées pour un film sur un démon qui contrôlerait tous les insectes au monde… J’ai vu mon premier film à peut-être 5 ans, Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille. Ça m’a donné envie de devenir clown, et ça a été un objectif pendant un certain temps, puis je me suis mis à faire des films en 8 millimètres.
 
C’est à l’université du Wisconsin, où vous avez étudié au milieu des années 60, que vous vous êtes introduit dans le cinéma ? Je voulais y faire du cinéma mais la classe était complète, alors je me suis rabattu sur le théâtre, peut-être un peu trop. J’ai mis en scène quelques pièces qui m’ont causé pas mal d’ennuis… Avec The Game Show notamment, où je voulais dénoncer l’apathie politique de notre génération, j’ai fait croire aux spectateurs qu’ils étaient enfermés dans la salle : on a mis de fausses chaînes aux portes, et j’ai mis en scène les agressions des acteurs par des membres du public qui étaient en fait des comédiens. Les vêtements d’une femme étaient déchirés sur scène, on simulait un viol, des violences. Et là, surprise, les spectateurs se sont rués pour arrêter ça, ils ont défoncé les comédiens « agresseurs ». La leçon : les gens à l’époque n’étaient pas apathiques comme aujourd’hui.
« J’ai adapté Peter Pan au théâtre, sauf que dans la scène où les enfants apprennent à voler, ils prenaient du LSD, pour de vrai. »
 
Elle était très particulière l’ambiance de cette fac à l’époque, non ?
C’était une période intéressante, on était à deux doigts de la révolution, vraiment, il y avait des manifs tout le temps… Le gaz lacrymogène, je sais ce que c’est, et mon frère a été matraqué. Cette expérience m’a poussé à faire une adaptation de Peter Pan au théâtre, pour laquelle j’ai été arrêté et foutu en taule. On a gardé tous les dialogues initiaux de J.M. Barrie sauf que dans la scène où Peter Pan apprend aux enfants à voler, eh ben ils prenaient du LSD, pour de vrai (il explose de rire) ! Bon, ça n’a pas plu aux autorités.
 
Après l’université, vous revenez à Chicago et vous ouvrez votre propre théâtre avec votre femme… Oui, on a commencé dans une église. Notre première pièce était une adaptation de La Ferme des animaux, encore une fois très politique, puis on a fait L’Odyssée d’Homère, en muet, Candide en commedia dell’arte… On a aussi fait Cops, qui n’était pas très tendre avec les flics, et le public, qui était majoritairement constitué de policiers, a adoré. On montrait des exactions, des meurtres arbitraires de minorités… Ce qui fait aujourd’hui l’actualité, en fait. L’un des gars nous a dit : « Les mecs, ce show est si réaliste que j’étais à deux doigts de sortir mon flingue et de tuer le civil moi-même ! »

 
Et vous n’avez pas fait le Vietnam ? J’ai été réformé pour physique inadéquat. En fait c’est simple, je faisais systématiquement l’inverse de ce qu’ils me demandaient : « Restez en ligne ! » Je me mettais à l’opposé. Ils se sont dit qu’ils allaient trop galérer avec moi, Dieu merci. Je ne voulais pas y aller, évidemment, j’ai fait plein de manifs contre la guerre. J’ai aussi voulu faire un Re-Animator à la Maison Blanche mais je n’ai pas pu réunir l’argent, je pense que le projet a effrayé pas mal de monde. Je m’attaquais frontalement à Bush. C’est amusant de voir comme la politique d’un pays inspire les films d’horreur. Par exemple, pendant les mandats de Bush, il y avait énormément de films de torture…
 
Vous êtes-vous servi de cette expérience de metteur en scène de théâtre pour ensuite faire des films ? Disons que je fais énormément de répétitions, peut-être pendant une ou deux semaines, avant le tournage. J’aime travailler avec les mêmes acteurs, comme une troupe dont les éléments se connaîtraient par cœur. C’est toujours plus simple, et je dis toujours que les bons acteurs sont les meilleurs effets spéciaux : ils peuvent faire croire n’importe quoi au public. Je fais énormément de prises aussi, justement parce qu’au théâtre c’est impossible. Mais ça dépend des acteurs, par exemple, j’ai travaillé avec Dennis Hopper et je me suis rendu compte qu’avec lui, la première prise est toujours la meilleure. Après, c’est de pire en pire, donc les acteurs qui l’accompagnent ont intérêt à être bons dès le début…
 
Ce n’était pas bizarre de bosser avec Dennis Hopper, ce symbole de la culture hippie devenu ultra-conservateur ? Si. À l’époque du film (Space Truckers, 1996), il avait déjà vrillé, il ne fumait plus, ne buvait plus. Il était clean. Pire : il méprisait totalement ceux qui adoptaient ce mode de vie. Hopper n’était plus le même, mais ce qui était génial c’est qu’on pouvait discuter de tout et même de politique, malgré nos divergences. Il avait vu et traversé tellement de choses… Un jour il m’a dit : « L’industrie du film a cent ans, et j’étais là la moitié du temps. »
 
Vous faites votre premier film en 1985, avec une boîte appelée Empire Pictures. C’était facile de faire un film à Hollywood, à l’époque ? Dans les années 80, le marché de la VHS venait d’éclater, il y avait une demande énorme. Empire Pictures, avec qui j’ai fait mes premiers films, a très bien surfé sur cette vague. Ils ont acheté un studio de cinéma à Rome, construit par Dino De Laurentiis, appelé « Dinocitta ». C’était énorme, on pouvait tout y accomplir, même s’il y a eu un petit choc culturel. On tournait Dolls et il y avait un charpentier qui faisait un boucan d’enfer. Généralement, personne ne l’en empêchait, puisqu’en Italie on ne filme pas avec le son direct. Je lui ai demandé d’arrêter et il m’a répondu : « Mais vous êtes qui, vous ? Monsieur Fellini, lui, ne m’a jamais emmerdé. » Je lui ai répondu que moi, je n’étais pas Fellini, et il m’a dit que ça, il s’en était bien rendu compte (il se marre) ! Malheureusement, Empire Pictures a fait faillite à cause d’une association douteuse avec le Crédit Lyonnais. Il y a quelque chose de pas net là-dessous, certains parlent de blanchiment d’argent par la mafia…

 
Vous avez tourné dans le monde entier : Italie mais aussi Espagne, Canada, Irlande, Hongrie, Roumanie… Oui forcément, c’est beaucoup moins cher. En Roumanie ça a été chaud, j’y ai été juste avant la chute du Mur, je leur ai dit que j’étais un touriste mais ils ne m’ont pas cru et on a été suivis partout par les services secrets, je ne faisais pas trop le malin. Il y avait Anthony Perkins dans l’équipe, je lui ai demandé s’il regrettait d’avoir joué dans Psychose, qui a un peu cassé son image de boy next door et ralenti sa carrière. Il m’a répondu : « Jamais de la vie, j’en pouvais plus de ces rôles beaucoup trop chiants… »
 
Vous avez aussi tourné en Australie : Fortress, avec Christophe Lambert… L’acteur le plus courageux avec lequel j’ai bossé. Il fait toutes ses cascades sans exception, et la seule fois où je me suis engueulé avec lui c’est quand il voulait faire une cascade incroyable qui impliquait un lance-flammes, alors qu’on n’allait même pas voir son visage à l’écran. J’ai eu gain de cause au moins pour la première prise, et il s’avère que le cascadeur s’est gravement brûlé le visage et n’avait plus de sourcils. Je me suis tourné vers Christophe, je lui ai dit ironiquement : « À toi maintenant ! » Il me dit : « Ok », et il y va ! Il l’a faite et il l’a réussie !
 
Vous faites partie de cette nouvelle vague de cinéastes d’horreur américains dans les années 70-80 : Sam Raimi, Wes Craven, Joe Dante… Vous étiez proche de ces gars-là ? Je ne les fréquentais pas à l’époque, mais j’ai appris à les connaître, on avait beaucoup de choses en commun. Ces derniers temps, on se voit toujours lors de dîners qu’on appelle les « Masters of Horror ». On fait ça régulièrement. Il y a Tarantino, Eli Roth, Oren Peli, Larry Cohen, Joe Dante, John Landis, Ti West, Robert Rodriguez, Tobe Hooper venait aussi… De plus en plus de femmes aussi, et tant mieux, comme Mary Lambert, Mary Harron, Axelle Carolyn… On parle de tout, mais surtout de cinéma, et parfois on s’engueule. John Landis et moi, on se prend souvent la tête (rires). Avec Tarantino, on a un jeu où j’essaie de trouver des films qu’il n’a pas vus. J’y suis arrivé avec Harlan County U.S.A., un documentaire de 1976 sur une grève de mineurs dans le Minnesota. Il m’a dit : « Ça compte pas, c’est un documentaire ! » On s’engueule régulièrement avec lui aussi car dans son cinéma, à Los Angeles, il ne veut rien montrer en numérique, seulement du 35 millimètres. Je lui dis que c’est bête, de mon point de vue, de nombreux films sont faits aujourd’hui en numérique et ils sont géniaux… Et puis j’ai assisté à tellement de séances ruinées à cause de la pellicule, qui brûle, qui est mal calée, usée… Mais il ne veut rien entendre.
« Lors de la première de Reservoir Dogs, je suis sorti pour aller aux toilettes.
Il y avait Wes Craven qui pissait et qui me dit :
“Je ne retourne pas dans la salle !” »
 
Wes Craven, vous l’avez bien connu aussi ? Je le connaissais un peu, mais j’ai appris énormément de choses le jour de son enterrement. Il était fou des oiseaux notamment, il pouvait passer des heures à les observer. Quand vous le rencontriez, il vous faisait l’effet d’un vieux professeur : modeste, subtil, doux, amical. Vous ne pouviez pas imaginer le genre de films qu’il faisait. Je me souviens une fois, à Sitges, le soir de la présentation de Reservoir Dogs, le film a été interrompu au milieu pour des raisons techniques et j’en ai profité pour aller aux toilettes. À l’urinoir d’à côté, il y avait Wes Craven. On était là tous les deux, en train de pisser, et il me dit : « Je ne retourne pas dans la salle. » J’ai pensé qu’il n’aimait pas mais il précise direct : « C’est beaucoup trop réaliste, je peux pas regarder ça. » Je lui ai dit : « Mais Wes, c’est qu’un film ! » On a explosé de rire. En vrai, je suis un peu pareil, je n’ai pas pu regarder Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento jusqu’au bout, c’était trop dur pour moi, j’allais craquer. Pourtant c’est génial. Je suis assez peureux en fait. J’ai fait des recherches à la morgue de Cook County à Chicago pour Re-Animator. Le médecin nous a dit qu’on pouvait filmer sur place, des vrais corps. J’ai dit non, y’a pas moyen : il y règne une odeur infecte. J’ai passé une journée là-bas, j’y ai pensé pendant deux semaines. C’est une des raisons pour lesquelles les films de zombies ne sont jamais crédibles : l’odeur n’est pas dérangeante pour les personnages. Pourtant, ce n’est pas un truc que vous oubliez comme ça.
« Dans un film, il ne doit pas y avoir plus d’un élément fantastique. Prenez Harry Potter par exemple, il y en a beaucoup trop, ça devient ridicule. »
 
Mais certains de vos films sont très durs aussi, assez réalistes dans l’horreur, comme Stuck ou Castle Freak. C’est vrai. J’ai fait Castle Freak juste après la mort de ma mère et je n’étais pas très jovial, c’est peut-être pour ça. Aussi, on avait un budget minuscule, et ça incite au réalisme. C’est un film dur et cruel, en tout cas c’est comme ça que je l’ai imaginé. J’ai toujours voulu en faire une préquelle, tout aussi épurée. De toute manière je pense que dans un film, il ne doit pas y avoir plus d’un élément fantastique. Si vous prenez les trucs comme Harry Potter par exemple, il y en a beaucoup trop, ils s’annulent mutuellement, le spectateur doit accepter un maximum de choses absurdes et ça devient ridicule.

 
Dans la plupart de vos films, il est question d’expérimentations corporelles incroyables et dévastatrices, à commencer par Re-Animator. Il y a l’idée d’une science qui, poussée à l’excès, devient dangereuse. C’est un sujet qui vous parle ? Ça parle surtout à Lovecraft, dont mes films sont inspirés ! La plupart de ses livres ont une base scientifique, et il était extrêmement bien documenté. Il a écrit From Beyond aux alentours de 1922 et il s’est renseigné comme un fou sur la glande pinéale, que l’on connaissait peu à l’époque. Moi, je me suis intéressé à Lovecraft au début car à l’époque, on ne faisait que des films de vampires, et je me suis dit qu’il y avait un truc à faire avec Frankenstein. Or, Lovecraft a écrit une parodie du roman. J’ai eu énormément de mal à la trouver, car il la détestait, mais j’ai finalement mis la main dessus et ça a donné Re-Animator. Depuis, la nouvelle a été rééditée grâce au film. Quand j’étais gamin, j’ai lu Poe après avoir regardé les adaptations de ses œuvres avec Vincent Price. Aujourd’hui j’ai l’impression de participer au même processus avec Lovecraft et ça me rend super fier. C’est un auteur épatant dont on n’a pas encore découvert toute l’ampleur, complètement en avance sur son temps.
 
Une autre de vos inspirations, c'est Ray Bradbury, qui a écrit le scénario du film The Wonderful Ice Cream SuitOuais, rien à voir avec un film d’horreur ! C’est très drôle, très doux, sur cinq Mexicains qui s’achètent un très beau costume qu’ils peuvent s’échanger. Quand ils le mettent, ça change leur vie. Ray Bradbury m’a raconté que Fellini voulait faire ce film, à un moment. Bradbury était un très bon ami, mais je n’aime pas trop l’adaptation de Truffaut de Fahrenheit 451. La meilleure chose là-dedans, c’est la musique de Bernard Herrmann, magnifique. Bradbury était mitigé face au film, il avait très peu confiance dans les adaptations de ses romans. Quand j’ai un peu modifié son scénario de The Wonderful Ice Cream Suit, il m’a dit : « Mais qu’as-tu fait de mon script ?! » C’était un peu compliqué, forcément – c'est presque un poète. Il écrivait tous les jours, c’était une nécessité. Au cinéma, c’est presque impossible de faire ça. J’aimerais comprendre comment un mec comme Peter Jackson a pu consacrer autant de temps et d’énergie, à la même histoire. Moi, le maximum, c’est douze semaines sur Space Truckers… Mes films sont aussi très courts, rarement plus de 95 minutes. Je suis assez d’accord avec ce que disait Hitchcock : « Un film ne devrait jamais être plus long que l’endurance d’une vessie humaine. » Si c’est long, il faut une bonne raison. Comme dans Il était une fois en Amérique, par exemple.

 
Vous avez réalisé un film de robots géants aussi, Robot JoxOui, à Dinocitta et dans le désert du Mojave pour les effets spéciaux. Les conditions étaient terribles dans le désert. Ils avaient décidé de tout tourner en miniature mais à l’air libre, pas en studio, c’était une super idée car ça permettait de meilleures perspectives. Mais c’est devenu un cauchemar : tempêtes de sable, inondations… L’enfer. Mais bon, à l’écran ça a de la gueule et visiblement ça a plu à Guillermo del Toro aussi…
 
Comment ça ? Pacific Rim emprunte énormément à Robot Jox. J’ai été très surpris en le voyant car je connais Guillermo, il vient parfois à nos dîners, et il ne m’en avait jamais parlé, alors que c’est évident. Il y a quelque chose de très similaire dans Avatar, aussi. Bon après, ce genre d’emprunts arrive vraiment tout le temps dans la science-fiction… Même moi, j’ai emprunté l’idée aux Japonais. Ce qui m’est propre, c’est que quand le « conducteur » du robot bouge, le robot bouge de la même manière. Ça, à ma connaissance, c’était inédit.
« Dans Edmond, il y a cette phrase : “Chaque peur cache un désir.”
J’y crois
beaucoup. »
 
Dans ce film, comme dans Fortress, il y a aussi l’idée que le gentil et le méchant finissent par s’allier et cassent la logique manichéenne… C’est comme ça dans la vie ! Ça arrive tout le temps. Le fait de détester quelqu’un est toujours plus fort que de l’ignorer, c’est le principe du yin et du yang, les contraires s’attirent. Dans mon film Edmond, il y a cette phrase : « Chaque peur cache un désir. » J’y crois beaucoup. Le noir, le blanc, le bon, le mal, tout est mêlé. C’est aussi le thème de mon film Stuck : comment cette femme, une infirmière, peut-elle écraser un sans-abri et foncer chez elle alors qu’il est encore planté dans le pare-brise ? La vérité, c’est que la peur vous fait faire les pires choses. Cette femme n’est pas le diable, au contraire, elle est juste vulnérable et humaine. C’est inspiré d’un vrai fait divers, dans lequel l’homme a fini par succomber à ses blessures alors qu’il aurait pu être sauvé. La femme, elle, va probablement finir ses jours en prison.
 
Votre dernier film remonte à 2007. Cette période d’inactivité est volontaire ? Pas du tout… Hollywood marche parfois sur la tête : le plus souvent, il est très dur d’enchaîner après un succès. Guillermo del Toro me disait la même chose : après Blade II il a eu beaucoup de mal à rebondir alors que ça a cartonné. C’est insensé ! En plus moi, je crois que je suis perçu comme étant trop vieux, aujourd’hui, pour faire des films. Dans cette ville, la part du lion revient aux jeunes, c’est eux qui font la loi. C’est un peu comme une carrière de sportif en fait. Pour moi, 70 ans ce n’est pas vieux, mais pour la plupart des gens ici, ça l’est. Pour la simple et bonne raison que dans leur esprit, seul un cinéaste de 30 ans peut parler à un public de 30 ans, qui est précisément la cible. Cette ville a la jeunesse dans le sang. C’est très Lovecraft d’ailleurs : chez lui, plus vous êtes vieux, plus vous êtes diabolique. Invisible, milliardaire, en haut de votre montagne, à la Sumner Redstone ou Rupert Murdoch.

Mais vous travaillez toujours sur des films ? Bien sûr, je n’ai jamais arrêté, c’est comme une drogue, j’ai des choses à dire. Quand vous connaissez personnellement un cinéaste, vous vous rendez compte qu’il met énormément de choses très intimes dans ses films. C'est comme une thérapie, regardez Hitchcock avec Sueurs froides : il était amoureux de Grace Kelly et quand elle l’a quitté, il a eu besoin de créer quelqu’un qui prendrait sa place, Kim Novak. C’est l’histoire du film. Ensuite est venue Tippi Hedren. C’est aussi le cas de Woody Allen, il y a déjà absolument tout dans Manhattan, sa relation avec une jeune fille, etc. Il est très honnête à ce propos. Et je pense que c’est mon cas aussi, on peut découvrir beaucoup de choses sur moi en observant mes films. Mais je ne peux vraiment pas vous dire quoi (rires)