Terry Gilliam : « Personne ne voulait faire L’Armée des 12 singes ! »

Film de voyage dans le temps au casting de stars, L’Armée des 12 singes a offert à Terry Gilliam en 1995 le plus grand succès de sa carrière. Retour 28 ans en arrière, alors que le film ressort cet automne en version restaurée 4K, en salles et en DVD Bluray.

Vous avez l’impression d’être le même Terry Gilliam qu’en 1995 ?
Non, je ne sais plus qui est ce type ! Quand je regarde mes films, je me demande qui les a réalisés.

Pourquoi ?
Parce que je vieillis et que je suis fatigué. J’ai eu tellement de grands combats et de batailles pour mes films. À un certain moment, vous perdez l’énergie.

Il y a eu beaucoup de combats pour ce film ?
Oh, non, là, il n’y a pas eu de bagarre du tout. La seule dispute que j’ai eue, c’est avec le producteur parce que j’avais décidé que le film devait se terminer à l’aéroport à la fin, quand le type qui a libéré le virus rencontre la scientifique du futur. Mais le producteur n’était pas d’accord, il voulait qu’on termine sur le visage du garçon. J’ai donc mis au point un plan qui serait trop coûteux à réaliser. J’ai demandé une grue pour descendre jusqu’au visage du garçon. J’étais sûr qu’il allait dire non, que ce serait trop cher. Mais il a dit oui. Et il a eu raison. C’était la bonne fin.

Et avec Universal, tout s’est bien passé ?
Oui. Tant que Brad Pitt, Bruce Willis et Madeleine Stowe étaient d’accord avec moi sur le montage du film, le studio ne pouvait rien dire. C’est aussi simple que cela. Je m’assure toujours que mes acteurs principaux et moi-même sommes satisfaits du travail accompli. S’ils ne sont pas de mon côté, alors les studios peuvent en profiter.

Vous avez tourné en décors réels…
Oui, à Philadelphie et Baltimore. À Philadelphie, on a même utilisé les marches de Rocky ! Pour les intérieurs, on a utilisé des centrales électriques désaffectées et fermées. On était loin d’Hollywood, à l’autre bout de l’Amérique, tranquilles.

Pourquoi le film ne se passe pas à New York ou à Los Angeles, comme la plupart des films de science-fiction ?
Parce que c’est beaucoup moins cher ! Je ne me souviens plus de notre budget – c’était peut-être 24 millions de dollars. Avec ce casting, c’est rien. À Philadelphie et à Baltimore, il y avait toute cette vieille architecture qui était importante pour moi, mais pour une fraction du prix de New York ou de Chicago. Ces deux villes étaient riches jusqu’à l’après-guerre, puis toute l’industrie s’est déplacée vers l’ouest et les a laissées à l’abandon. Pour moi c’était parfait, c’était la décadence. Tout était en décomposition.

Quand on vous a proposé ce scénario, quelle a été votre réaction?
Le studio essayait de tourner ce projet depuis un certain temps mais personne ne voulait le faire. Les gens ne le comprenaient tout simplement pas. Moi non plus, je n’ai pas tout compris, mais je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’unique. Et j’ai été libre d’y ajouter mes propres éléments. Le monde du futur n’était pas décrit dans le scénario. La chaise qui monte le long du mur par exemple, je suis assez fier de cette idée. Je suis très heureux d’avoir pu créer mon propre futur détraqué.

La direction artistique est proche de celle de Brazil. Vous étiez libre de faire ce que vous vouliez ?
Je fais toujours tout ce que je veux ! J’ai été très inspiré par un livre d’un photographe tchèque qui s’appelle Joseph Sudek. Il y avait là quelque chose de très mélancolique. J’avais envie que l’univers de L’Armée des 12 singes évoque cette mélancolie.

Et pourquoi ce tango argentin à l’accordéon comme leitmotiv musical du film ?
C’était un ami, Ray Cooper, qui est percussionniste pour Elton John, qui m’a suggéré de mettre du tango dans le film. Il avait un compositeur précis en tête, alors je suis allé dans un magasin de disques mais je n’ai pas pu trouver l’artiste en question. J’ai donc écouté des morceaux de tango au hasard, et c’est comme ça que je suis tombé sur la Suite Punta del Este d’Astor Piazzolla.

Le film a été un tournant dans votre carrière ?
C’est probablement mon plus gros succès financier. C’était le bon moment : Bruce était une énorme star, Brad venait de devenir une star. Et ils l’ont sorti à la période de Noël à New York, alors que tous les autres grands films sortaient juste avant Noël. Ils sont tous entrés en collision quelques jours avant Noël, se sont anéantis les uns les autres. Alors, on a eu un boulevard.

L’écologisme radical, la peur des virus, les théories du complot… Le film a une certaine résonance aujourd’hui…
L’Armée des 12 singes devait parler de l’Amérique de 1995, mais il reste très actuel. Vous savez, un film comme La Vie de Brian est aussi totalement d’actualité. On n’arrête pas de dire : « Oh, vous ne pourriez jamais faire un film comme ça maintenant ». Je pense le contraire, c’est un film qui résonne complètement avec aujourd’hui. Je suis toujours surpris que mes films aient une si longue durée de vie. Dans les premières projections de Brazil, tout le monde sortait pendant le film. Maintenant, les gens restent assis !

Il y a une scène dont vous êtes particulièrement fier dans L’Armée des 12 singes?
Oui : la première fois que Bruce est dans la voiture, il sort sa tête par la fenêtre pour respirer l’air pur, et What a Wonderful World joue en arrière-plan. Il y a quelque chose de si doux là-dedans. Et Bruce est brillant dans cette scène. C’était génial de le voir aussi introverti, à l’opposé du John McClane de Die Hard. Et Brad, pareil. Avant ça, il avait toujours joué des rôles très intériorisés. C’est pour ça que je pense que le film est bon, car il montre l’étendue de la palette de ces deux acteurs. Et Madeleine tient tout le film ensemble.

© Collection Christophel, L’Armée des 12 singes 1995

Le film est inspiré de La Jetée, de Chris Marker. Mais vous ne l’aviez pas vu avant ?
Je l’ai découvert à Paris, lors de l’avant- première du film, car il était projeté juste avant. Je n’en avais vu que des photos et je ne voulais pas le voir, parce que je savais que L’Armée des 12 singes serait un film très différent.

Chris Marker l’a vu ?
Je ne sais pas ! Il ne m’en a jamais parlé. Je l’ai rencontré une fois, tout près du cercle polaire, lors d’un festival de films en Finlande. On a pris un petit déjeuner ensemble et on est restés un peu en contact. C’était un artiste impressionnant. Et ses films sont extraordinaires.

Entretien à retrouver dans Sofilm n°100, en kiosque le 16 novembre !