THE AFRICAN DESPERATE de Martine Syms

Aujourd’hui, la plateforme Mubi sort une des dernières pépites du cinéma indé’ américain : The African Desperate, une réjouissante satire du monde de l’art contemporain. Martine Syms y condense sa propre expérience de jeune femme noire aux Beaux-Arts en 24 heures de trip délirant. 

Dernière journée sur le campus pour Palace Bryant (Diamond Stingily) avant de terminer son année aux Beaux-Arts. Au programme : présentation orale devant ses profs pour valider son bachelor, petite soirée électro-ecsta, et retour dans sa famille, à Chicago. 24 heures durant lesquelles on nous en fait – littéralement – voir de toutes les couleurs. Pour son premier long, Martine Syms joue la carte de l’autofiction. Comme son personnage, la réalisatrice est une artiste afro-américaine diplômée des Beaux-Arts, centrant son travail sur le féminisme et la “black culture”. Plus encore, l’action se déroule en 2017, année où Syms a obtenu son diplôme à Bard College, dans l’État de New York. Le film lui-même a d’ailleurs des airs de projet de fin d’études. Notamment par sa plastique expérimentale, scandée par des “memes” subliminaux et des adresses à la caméra. Le choix de Diamond Stingily pour le rôle principal n’est pas non plus anodin : l’actrice est elle aussi performeuse, plasticienne et poétesse travaillant sur l’identité noire. 

D’où la clarté du point de vue. D’emblée, dans une scène d’ouverture délicieusement gênante, Syms nous embarque dans le cerveau de Palace. Dans son atelier, la jeune femme fait face à ses quatre professeurs venus lui faire passer son évaluation finale. Et se retrouve seule et désarmée face à leurs interprétations hasardeuses flirtant avec le racisme. Un passage 100% “passif-agressif”, sans doute le plus explicite du film sur la violence institutionnelle infligée à la jeune femme. Passé ce moment de gêne, Palace sillonne les allées du campus en autarcie, croise diverses connaissances, et finit par atterrir à la très attendue soirée de fin d’année. Sous stroboscopes et psychotropes : c’est le début d’un long trip hallucinatoire, jalonné de discussions lunaires. Pourtant, rien ne semble beaucoup plus absurde que le reste de sa journée. Stones ou sobres, les étudiants de l’école d’art vivent manifestement dans un autre monde.

In and out  

À première vue, dans cet immense flou artistique déjanté, Palace semble dans son élément. Ses cheveux oranges ne contrastent pas avec le reste des crinières multicolores. La brillante élève vient même d’être exposée à la Biennale de Venise. Toute la journée, ses camarades lui courent après pour passer du temps avec elle. Elle a des amis, des ex, des prétendants. Elle est DJ, elle boit, elle se drogue. Tout pour “fit in”. Pourtant, comme les “memes” qui surgissent à l’écran, la violence insidieuse et symbolique de ce milieu élitiste et majoritairement blanc vient régulièrement lui sauter au visage. Y compris avec les jeunes de son âge, aussi friendly soient-ils. Diamond passe son temps à négocier pour s’affirmer dans un milieu où tout le monde la valorise sans véritablement prêter attention à ce qu’elle dit. The African Desperate pointe les ambivalences de ce microcosmos open-minded en apparence mais très codifié et difficile à cerner dans la pratique. Tout en construisant subtilement cette satire hyper-contemporaine, Syms parvient à éviter toute résignation. Un date dans une voiture, une baignade nocturne ou un tuto make-up : autant de plaisirs simples qui réjouissent Palace, et nous avec. C’est la force du film : l’ironie grinçante ne vient jamais assombrir la célébration d’une jeunesse plus frénétique et créative que jamais. 

The African Desperate de Martine Syms est dispo en exclusivité chez MUBI.