THE AMUSEMENT PARK de George Romero

Des retraités lâchés dans un parc d’attractions avec George Romero aux manettes ? Cette satire glaçante – longtemps invisible – refait surface, en salles le 2 juin. À l’origine de cet ovni : une bande de calvinistes. Explications.

Nombreux sont les réalisateurs à avoir profité d’une simple commande pour renouer avec l’expérimentation, pas toujours envisageable sur un projet de grande envergure – et souvent, au détriment des commanditaires. C’était notoirement le cas d’un Godard et même de Resnais. Son Chant du Styrène, où la mise en images d’une chaîne de fabrication de plastique devenait un poème abstrait et pictural, illustré par les mots de Raymond Queneau. Lorsque Romero s’attaque à The Amusement Park, le pape des morts-vivants n’est pas au mieux de sa forme, financièrement du moins. Un imbroglio de droits d’auteur l’a privé des bénéfices de son premier et mythique film, La Nuit des morts-vivants. Après les sorties confidentielles de There’s Always Vanilla et Season of the Witch (distribué comme un porno soft), Romero doit remplir son frigo. C’est pourquoi il se met aux services de la Lutheran Service Society, un organisme calviniste de Pennsylvanie soucieux des mauvais traitements que subissent les personnes âgées dans l’Amérique des années 70. Sur le papier, les intentions sont claires : par le biais de l’allégorie, mettre en lumière le quotidien difficile des seniors et motiver les plus jeunes à faire du bénévolat. Le sachant aux abois, il ne serait pas surprenant de voir Romero respecter bien sagement son cahier des charges et mettre, pour une fois, ses gimmicks habituels de côté. Résultat ? Un film dérangeant, oppressant, terrifiant et profondément pessimiste. Un film qui sera rejeté en bloc et condamné à l’oubli… jusqu’en 2018, lorsque les bobines sont retrouvées par la veuve du cinéaste, Suzanne Desrocher-Romero. Restauré par IndieCollect, le film trouve aujourd’hui la place qu’il a toujours méritée.

Day of the (bientôt) Dead
Car The Amusement Park n’a rien d’un petit film bien sage, un brin larmoyant mais résolument optimiste (ce que les employeurs de Romero espéraient, bien sûr). En racontant l’histoire d’un vieil homme respectable malmené par la foule au cours d’une visite au parc d’attractions, le cinéaste se livre ici à un pur exercice de style, dessinant les bases de l’imagerie qui lui collera pour toujours à la peau. Le New-yorkais a beau ne pas filmer des morts-vivants, la chorégraphie de la foule évoque les cadavres de Zombie, motivée par le même rapport pervers et obsessionnel à la consommation et au divertissement. Le film ne se contente d’ailleurs pas de soulever le problème des maltraitances subies par le troisième âge : il égratigne la société américaine dans son ensemble et surligne méticuleusement chaque aspect de sa déliquescence. L’injustice sociale, l’opacité administrative, l’inégalité sanitaire, les discriminations raciales, le voyeurisme… Tout le monde ou presque en prend pour son grade dans un film qui tient plus du brûlot que de la fable pédagogique. Surtout, et c’est sans conteste la dimension la plus marquante du film, Romero dessine un portrait viscéralement angoissant de la vieillesse. Plus le film avance, plus il prend les airs d’un vertige cauchemardesque et assourdissant dont le personnage principal (Lincoln Maazel qui, pour l’anecdote, vécut 106 ans) ressortira brisé. Au fond, la vieillesse n’est-elle pas le chaînon manquant entre la vie et le zombie ? On comprend qu’un film aussi rebelle, éprouvant et naturaliste ait pu susciter l’effroi des religieux. Un suicide économique mais un tour de force artistique qui n’a rien perdu de son sel, cinquante ans après.