THE CLIMB de Michael Angelo Covino

Le cinéma indé américain avait-il tout dit de la bromance et des trous d’air existentiels qui vont avec ? C’est ce qu’on avait tendance à penser. Mais ça, c’était avant de croiser la route de deux cyclistes bavards dans le savoureux The Climb (en salles le 29 juillet). 

Deux Américains à l’approche de la quarantaine, perchés sur des vélos à pédales automatiques, grimpent tant bien que mal les pentes intransigeantes du col de Vence, dans l’arrière-pays niçois. Comme ils discutent entre deux coups de pédale, Mike, le plus en forme des deux, avoue à Kyle qu’il a couché avec celle qu’il doit bientôt épouser. Kyle veut le tuer, forcément (et ce même si Ava, sa promise, est jouée par la revenante Judith Godrèche), mais encore faudrait-il qu’il le rattrape… Une idée comique assez géniale déjà développée par Michael Angelo Covino (réalisateur, coscénariste, producteur et interprète de Mike) et Kyle Marvin (coscénariste, producteur et interprète de… Kyle, pardi) dans le court métrage éponyme, présenté à Sundance en 2018. Une esquisse qui avait permis aux deux acolytes d’éprouver un dispositif : la scène est filmée en plan-séquence et le spectateur, comme Kyle, se retrouve autant prisonnier de la pente que de la fourberie de Mike.

En passant au long métrage, ils déclinent la méthode sur sept sketches, filmés eux aussi sans coupe, explorant la relation entre leurs personnages sur plusieurs années, de funérailles au Noël en famille en passant par l’enterrement de vie de garçon, entre vacheries, crises de nerfs et réconciliations. Si le dispositif risque évidemment d’être ostentatoire ou voyant, Covino parvient à utiliser sa caméra pour appuyer le texte, renforcer le burlesque et réunir les conditions de l’empathie pour ses personnages. Ainsi « embarqués » avec eux, on s’attache à Kyle, gros nounours trop gentil et un peu gauche, mais aussi à Michael, Judas égocentrique et névrosé, qui impose sa crise existentielle à son meilleur ami de peur de la traverser tout seul. Un film qui se délecte de situations qui dégénèrent et s’affranchit des codes de la sitcom ou du stand up pour trouver sa propre grammaire et explorer les contrées évidemment familières du buddy movie : Michael est le grain de sable dans la belle mécanique sociale, Kyle le clown blanc qui sert bien malgré lui de point d’appui et pardonne tout.

Si la comédie a toujours permis à l’Amérique d’affronter ses névroses, The Climb raconterait celle qui dévore tout : la famille évidemment, les attentes et la pression sourde qu’elle place sur ses membres, mais aussi le couple, condamné à la reproduction d’un modèle familial plus subi que choisi, et même l’amitié, soumise aux mêmes questionnements métaphysiques et éprouvée par un passage à l’âge adulte qui semble lui échapper irrémédiablement. Le film lui-même semble aussi à la merci des névroses de Covino et Martin, jeunes cinéastes indépendants pressés de se faire remarquer dans une industrie qui leur laisse de moins en moins de place, et d’étaler une culture pourtant déjà bien digérée par le film (citations de Claude Sautet et Pierre Étaix). Reste maintenant à savoir si ce coup d’essai tout à fait brillant fera des petits, et si Covino et Marvin pourront délaisser la publicité qui les a fait manger jusqu’ici pour faire du cinéma à plein temps… En mal d’idées fraîches, de finesse et de nouveaux visages comme rarement dans son histoire, le cinéma américain en aurait bien besoin. David Alexander Cassan