THE FABELMANS de Steven Spielberg
Longtemps en gestation, The Fabelmans permet à Steven Spielberg d’enfin s’essayer à l’autobiographie. Le résultat est à la fois un portrait familial bouleversant et une ode à la lumière.
« J’ai depuis longtemps en moi une histoire sur ma famille que je suis trop lâche pour raconter. Je le ferai un jour. Mais c’est difficile, car cela signifie porter à l’écran devant le monde entier certains événements très personnels concernant ma mère, mon père, mes trois sœurs et moi-même », avouait Steven Spielberg à Richard Schickel en 2012[1]. Cette modestie, ou plutôt cette vulnérabilité peut paraître étonnante pour un tel cinéaste du contrôle, capable d’affirmer aussi bien sa force tranquille sur des projets titanesques (Ready Player One) que sur une poignée de mois de production (Pentagon Papers). Il y a une évidence dans le cinéma de Spielberg, une virtuosité du cadrage et du découpage typique d’un artiste qui pense par l’image, comme s’il s’agissait de sa langue maternelle. Or, The Fabelmans ne parle que de ça : un adolescent apprend à s’exprimer.
Alors que sa mère pianiste (Michelle Williams) a vu sa carrière d’artiste lui filer entre les doigts, le jeune Sammy (Gabriel LaBelle) fait tout pour ne jamais laisser s’échapper la lumière, jusqu’à utiliser ses mains comme écran pour capturer la dimension éphémère du cinéma. Spielberg en plaisante dans les premières minutes du film, où cette famille juive retrouve sa maison par son absence de décorations de Noël, dans un quartier pavillonnaire brillant de mille feux. Tout est dans l’attrait de la lumière, qui nous happe comme des insectes et nous laisse suspendus aux ombres de la caverne de Platon. Cette caverne, c’est justement le placard de Sammy, le lieu où il oblige sa mère à voir un film de vacances compromettant, qui laisse deviner son amour pour un autre homme. Le garçon est incapable de parler. Il ne peut que montrer, modeler la lumière au point où cette dernière laisse une trace, qu’il le veuille ou non.
« Firelight »
Et de traces, il en est forcément question dans ce biopic introspectif. Il est magnifique de voir Spielberg dépeindre frontalement le divorce de ses parents (qui résonne dans une bonne partie de sa filmographie), mais The Fabelmans est avant tout une chronique, qui s’attarde sur les saynètes d’une jeunesse cabossée, ponctuée de vexations, de regards tendres et d’actes d’amour maladroits. Même si une violente gifle sur le dos laisse sa marque, elle finit par disparaître et être pardonnée. Là réside la sagesse de l’auteur : ce sont les petites choses qui restent ; ces phrases, ces mains tendues par des personnages tentant de faire de leur mieux, et que le cinéaste a toujours capté avec beaucoup de finesse. Au travers de Sammy, Spielberg montre, lui aussi, qu’il a fait de son mieux. Si on ne peut qu’être attendri de le voir revisiter ses tournages d’enfance (dont Escape to Nowhere, un film de guerre qui renferme déjà les prémisses de Il faut sauver le soldat Ryan), Spielberg déploie tout son savoir-faire pour rendre le plus bel hommage possible à ses parents. Un hommage honnête, où la lumière parfaite de Janusz Kamiński sert autant à magnifier un père aimant (Paul Dano) qu’à projeter son ombre sur le mur, celle d’un homme vidé par l’échec de son mariage. On en revient à Platon et à la beauté de ses illusions, qui ont tout autant de valeur que la vérité. Paradoxalement, c’est en prenant le contrôle de sa propre histoire que Spielberg se permet le plus majestueux des lâcher-prise.
[1]SCHICKEL, Richard, Steven Spielberg, une rétrospective, Éditions de la Martinière, 2012.