THE LAST HILLBILLY de T. Jenkoe et D. S. Bouzgarrou

Dans la lumière déclinante du Kentucky, les derniers instants d’une culture redneck en voie de disparition. Un documentaire crépusculaire d’une rude beauté, en salles le 9 juin.

« So, you wanna know about hillbillies », première rencontre avec Brian Ritchie, face caméra. De sa voix rocailleuse, il égrène les attributs peu glorieux de ces « péquenauds » : ignorants, pauvres, violents, racistes, consanguins… Ce peuple des collines habite, ou plutôt hante, les anciens territoires miniers du Kentucky. The Last hillbilly fait de Brian Ritchie leur dernier représentant et c’est d’abord sa voix en off qui psalmodie sur des extraits vidéos, d’abord poétiques, puis morbides : une biche agonise dans un cours d’eau. On croirait un récit épidémique à la vision de ce mal mystérieux. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. La funeste introduction laisse place à un récit familial en trois temps: Under the Family Tree, The Waste Land, The Land of Tomorrow. Le documentaire reprend les trois actes de la tragédie pour une immersion cinématographique auprès de Brian et ses proches. Enfermés dans un cadre 1.33, ils sont ceux qui ne sont pas partis, ceux à qui on reproche l’élection de Trump. Sur cette terre qui semble avoir davantage de passé que d’avenir, ils ont fait des enfants. Brian est un père seul – tout du moins à l’écran – qui, en dernier testamentaire du peuple hillbilly, tente de transmettre la mémoire de ses ancêtres. Accompagnés d’une BO sourde et puissante, les textes en voix off sont tous les siens. Au-delà de leur poésie, on écoute la constitution d’une mémoire orale, pendant que les cinéastes s’attachent à capturer les images d’un monde qui n’existe déjà plus.

Leurs enfants après eux
Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe dressent un portrait crépusculaire. En ne montrant que Brian Ritchie, quelques amis, et une dizaine d’enfants, hors du monde extérieur, ils fabriquent, par le cinéma, une réserve, comme celles de tribus indiennes. Moins frontalement, les hillbillies aussi ont été décimés, la fermeture des mines n’a pas aidé. Ayant perdu tout motif de fierté, ils se sont volatilisés. Le film avance et les situations deviennent de plus en plus primitives : on se retrouve près du feu, on hurle à la mort sans même que les coyotes daignent répondre. Brian tente à nouveau de réactiver la mythologie grandiose auprès des enfants, en surnombre. On comprend soudain l’isolement des peuples des Appalaches (« They were cavemen until I was born ») qui, comme décimés par les virus des colonisateurs, ne survivront pas à l’Amérique du XXIe siècle. Ne restent que leurs enfants, que l’ennui occupe et qui tentent vainement de mimer les aînés. Laissant son père seul sur sa colline, Austin lit une bible sans conviction, et une fois descendu à la rivière, il substitue à la pêche la prise d’un poisson déjà mort. C’est la voix du même Austin qui clôt le film, comme celle de son père l’avait ouvert. L’image n’occupe plus la totalité de l’écran, le noir qui l’entoure se confond avec la nuit qui semble prête à happer le jeune garçon. Tourbillonnant sur lui-même en alpaguant les étoiles, il lance un appel lapidaire : « Help me. » Il venait d’enterrer son poisson, dressant l’énième sépulture d’un film qui compte plus de tombes que de vivants. Ce n’est pourtant pas un requiem, mais plutôt, reprenant le titre du best-seller de J.D. Vance, une « Hillbilly Élégie ».