THE ZONE OF INTEREST de Jonathan Glazer

Dix ans après Under the Skin, Jonathan Glazer adapte un roman de Martin Amis pour figurer en creux l’horreur de la Shoah. En résulte un objet glaçant et parfois déroutant.

D’abord, un plan noir. L’obscurité bouffe l’écran pendant plusieurs minutes. Elle est accompagnée d’un bruit sourd, menaçant, laissant peu à peu sa place aux « cui-cui » des oiseaux. Enfin, une image, lumineuse. Des parents et leurs enfants au bord de l’eau, incarnation archétypale du bonheur familial pendant une journée à la campagne. Ce contraste des premiers instants expose d’emblée le dispositif de Jonathan Glazer avec The Zone of Interest, très librement inspiré d’un roman de Martin Amis. Dix ans après l’ovniesque Under the Skin, le Britannique n’a rien perdu de sa hardiesse. Il se frotte cette fois aux questions les plus ardues pour un film. Que montrer des camps d’exterminations nazis ? Quel point de vue adopter ?

De ces interrogations tant débattues et toujours irrésolues, de La Liste de Schindler au Fils de Saül, Glazer glace notre regard en tirant les fils de la discordance, de la distance. Sa caméra ne passe jamais les murs d’Auschwitz. Elle est le plus souvent arrimée à la maison et au jardin de la famille de Rudolf Höss, officier SS et commandant des camps. Un décor domestique dont l’apparence routinière est renforcée par la répétition des cadres adoptés par le réalisateur et son dispositif de caméra pilotées à distance comme dans une émission de télé-réalité. La pelouse verdoyante, le parfum des fleurs, la piscine et son toboggan… The Zone of Interest fait de ce foyer un espace édenique sur le pas de porte de l’Enfer, qui se rappelle toujours à notre souvenir ; par un gardien faisant les cent pas dans son mirador, les aboiements d’un chien ou la fumée, crachée par les trains amenant les déportés ou les cheminées. Pendant que Höss, nonchalamment, tire sur son cigare.

Un rideau occultant coupe les deux mondes. Il n’est pas étanche. Les horreurs perpétrées d’un côté s’insinuent dans l’autre, le passage en soulignant toute la monstruosité. C’est ici des dents observées par un adolescent dans son lit, c’est là des pelletées de cendres qu’on utilise comme engrais dans le jardin des Höss. Même les fleurs aux couleurs magnifiques filmées en gros plan portent le Mal à la racine. L’abomination n’est plus seulement hors-champ ou au second plan. Elle se loge partout, contaminant jusqu’à ce qui semble être beau et innocent. La porosité est totale, y compris entre les époques. Dans son épilogue, le Britannique désarçonne en faisant percuter passé et présent, tout en réaménageant les termes de la juxtaposition entre le banal et l’atroce. Difficile d’en saisir tout le sens après un seul visionnage. La dialectique foisonnante de The Zone of Interest en mérite certainement d’autres.