À SON IMAGE de Thierry de Peretti

Après avoir enquêté sur un scandale d’État en compagnie de Pio Marmaï et Roschdy Zem, Thierry de Peretti signe son grand retour en Corse avec À son image, inspiré par un roman de Jérôme Ferrari et présenté à la Quinzaine des Cinéastes à Cannes. À travers le portrait dune jeune photographe fracassée contre la réalité politique de l’île et par celle de la guerre en Yougoslavie, le cinéaste et metteur en scène des Apaches et de Une Vie violente ajoute une pièce à son œuvre polyphonique, en adoptant cette fois-ci le point de vue féminin. Par Lucas Aubry.

Le 6 janvier 1980, un groupe de militants indépendantistes corses intercepte une voiture sur la route du village de Bastelica, perché dans les montagnes de Corse-du-Sud. Les trois hommes à son bord sont soupçonnés d’être des barbouzes proches du RPR, venus assassiner Marcel Lorenzoni, figure du mouvement nationaliste. Deux armes de poing et une carabine retrouvés dans leur coffre et c’est la prise d’otage. Bientôt, la situation dégénère, les forces de l’ordre encerclent le village, les militants prennent la fuite et se retranchent dans un hôtel du centre d’Ajaccio. Ils ne se rendent qu’au petit matin, après la mort d’un CRS et de deux civils sans lien avec l’affaire. À plusieurs reprises dans le film, de jeunes sympathisants passent le pas de leur porte bien déterminés à foncer dans les mêmes pièges. Ainsi avance l’histoire politique de la Corse, en bégayant : double homicide dans la prison d’Ajaccio, assassinat de Robert Sozzi, scission meurtrière au sein du FLNC, et ainsi de suite. On ne s’y épanche pas trop. Ce qui intéresse réellement Thierry de Peretti, ce n’est pas tant l’événement en lui-même que de « filmer ce qui reste ». À commencer par les femmes, prises bien malgré elles dans ces épopées crapuleuses. Après les caïds des Apaches (2013), et le jeune intellectuel radicalisé de Une Vie Violente (2017), c’est de leur point de vue que se déroule À son image. Et plus précisément de celui de l’héroïne du roman du compatriote Jérôme Ferrari (prix Goncourt en 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome), Antonia, jeune photo-reporter à Corse-Matin, bringuebalée entre ses amours, son engagement politique et le projet d’une échappée dans les Balkans, où la guerre civile guette et offre un parfait contrechamp à la situation en Corse, que l’on retrouve très vite. 

Révéler les mises en scène du présent

Au regard du titre et de la profession d’Antonia, faut-il préciser que la question de l’image tient ici une place de choix. Il s’agit de trouver l’image juste, celle qui permet de représenter l’époque, le contexte politique avec la bonne distance. Années 80 et 90 obligent, les clichés sont tirés à l’argentique, pendus à un fil à linge dans la salle de bain. Un temps de latence favorable à la prise de recul et à la révélation, quelque peu oubliée à l’ère fieffée de l’image instantanée. Révéler les mises en scène du présent plutôt que de « capturer l’instant », c’est tout ce qui occupe de Peretti et c’est encore dans le roman de Jérôme Ferrari – dont plusieurs passages sont lus en voix-off pendant le film – qu’on en parle le mieux : « Sous son objectif, ses amis ressemblaient à des personnages de tragédie en proie à dindicibles tourments, alors que le problème était précisément labsence totale de tragédie. » Il faut croire que c’est aux comédiens d’un petit théâtre que font penser les membres du FLNC, lorsqu’ils enfilent leurs cagoules et improvisent des conférences de presse sur des chantiers abandonnés. Ne parlent-ils pas de faire venir « des figurants » ? Sur l’île comme à Belgrade, on joue au militant politique, à la virilité exacerbée. D’origine corse et serbe, Alexis Manenti brouille les frontières, crée une unité. Quant au reste du casting, il mélange des têtes connues de la troupe du cinéaste à des comédiens et comédiennes non-professionnels, à l’image du rôle principal Clara-Maria Laredo, fille d’un militant écologiste et nationaliste, fondateur de la branche insulaire d’EE-LV. De quoi ancrer, encore un peu plus, le film dans le réel et l’image juste.

À son image (Quinzaine des Cinéastes), en salles le 4 septembre 2024.