Thomas Salvador : « En montagne, chaque pas compte, car à chaque pas on peut tomber »
Il s’était attribué des super-pouvoirs dans Vincent n’a pas d’écailles. Dans La Montagne, en salles ce 1er février, il quitte le monde des hommes pour se perdre sur des cimes enneigées et animées d’étranges lueurs… Thomas Salvador est le cinéaste-comédien-alpiniste dont la France avait besoin.
D’où vous vient cette passion pour la montagne ?
C’est un grand mystère. À 14 ans, je voulais être metteur en scène et la montagne m’est tombée dessus. Je n’avais jamais fait de ski ni d’escalade, mes parents ne sont pas du tout montagnards… En fait, je me suis fait offrir un abonnement à des revues d’alpinisme pour mon anniversaire et après je suis allé me faire faire une carte de visite chez Monoprix : « Thomas Salvador, guide de haute montagne ». L’été suivant, mes parents m’ont payé un stage d’alpinisme, et il y avait un questionnaire « avez-vous déjà fait ci, ça »… Je répondais oui à tout, c’était évident ! Et je me suis retrouvé d’ailleurs dans des décors du film, à l’aiguille du Midi. Pour mon premier jour en montagne, j’étais à 3 800 mètres !
Vous avez eu des mentors ?
J’ai eu plusieurs figures comme ça. Des guides que j’ai découverts, et puis Patrick Berhault avec qui j’ai tourné un documentaire (Dans la voie : portrait d’un guide au travail, diffusé sur Arte en 2004, ndlr). Je fais toujours les choses à mon rythme et quand, après cinq ou six courts métrages, j’ai eu ma première évidence de long métrage, c’était un film où il jouait son propre rôle, celui d’un alpiniste qui partirait à la recherche d’un autre alpiniste plus jeune et un peu fou que j’aurais joué, et qui ne voulait plus redescendre de la montagne. Malheureusement il est décédé quelques semaines avant notre rendez-vous et je me suis retrouvé orphelin, du guide spirituel et du projet. J’ai mis du temps avant d’y revenir.
Qu’est-ce que ce guide vous a appris ?
Le plaisir. Il était guide, il faisait des expéditions, il était prof à l’ENSA où il formait des guides, et le week-end… il allait bivouaquer seul. À la fin, avec des copains, il a fait en six mois la traversée totale de l’arc alpin, de la Slovénie à la plage de Menton. Il n’était pas dans le spectaculaire, ni dans l’immédiateté. Le personnage de Pierre dans le film apprend un nouveau rapport au temps, il réapprend à être là, dans le présent, et à être bien.
Vous avez fait des expéditions un peu spectaculaires ?
Non, non, je n’ai jamais beaucoup d’argent et ça coûte très cher. Je ne suis jamais allé en Himalaya ou en Patagonie. Je rêve d’y aller mais il ne faut vraiment faire que ça. On ne peut pas le faire en amateur ou en faisant du cinéma.
Qu’est-ce qui rend une expédition mémorable ?
Il y a une phrase qui dit : il n’y a de belle montagne sans bons compagnons de cordée. Moi j’ai un super ami qui est guide, prof à l’ENSA et il fait ça pour les aventures humaines. En montagne, on est concentrés tout le temps, ce qui est apaisant mais aussi fatigant. On se retrouve à des heures pas possibles parce qu’on démarre très tôt… Et chaque pas compte, car à chaque pas on peut tomber. Quand l’ascension dure huit heures, tu es dans les gestes, l’organique, le présent, le concret. C’est ce que j’adore, et c’est ce que questionnent mes films aussi. On s’extrait vraiment de beaucoup de choses, on se retrouve au-dessus des nuages.
Comment votre équipe a vécu le tournage ?
C’était génial, on a commencé progressivement, comme le personnage en fait. J’aime bien quand tout converge : le mouvement du personnage vers la montagne embarque aussi l’équipe et le tout embarque le spectateur. Le fait d’être peu nombreux, ça nous a permis aussi de ne pas être conquérants, de ne pas arriver avec quatre hélicos à 25 et puis de redescendre au moindre coup de vent. On a dormi notamment au refuge des Cosmiques, à 3 800 mètres ! Il y a 25 % d’oxygène en moins, tu as mal à la tête, chaque mouvement est fatigant… Même moi, je ne le disais pas trop mais j’avais peur. Certains pleuraient à la fin du tournage. Il y avait le COVID et nous on était là sans masque, au-dessus des nuages… Ce besoin de s’extraire était très présent. Les deux premières semaines, 4 jours ont sauté à cause de la météo, on se disait qu’on allait passer notre temps à attendre à l’hôtel et puis on a fini par aller en montagne. Il faisait -17° et j’ai senti que dans l’équipe quelque chose s’allumait. La semaine d’après, plus personne ne se plaignait. Le premier assistant disait : « Si tu fais un film qui s’appelle La Montagne, il faut accepter qu’elle te dicte sa loi. »
Vous aviez un opérateur « escalade » dans l’équipe de tournage…
Oui, c’était le seul membre de l’équipe vraiment alpiniste. Il a fait tout le film en tant qu’opérateur et on a tourné deux semaines en micro équipe, à deux, pour toutes les parties d’escalade. Je faisais le son, Victor l’image et deux guides de haute montagne nous accompagnaient. Pour le reste des scènes en montagne, on était six. C’est ce qui nous permettait d’avoir beaucoup de jours de tournage parce qu’on était hyper tributaires de la météo et qu’en plus, ça a été la pire météo depuis vingt ans. Il pleuvait, des tempêtes partout… Avec un orage à Paris, tu peux tourner, mais en montagne c’est trop dangereux. Tu n’y vas même pas. Donc, on a eu trois semaines de retard mais on était hyper soudés et très réactifs.
Vous avez été bien accueillis à Chamonix ?
Il y a beaucoup de tournages là-bas, mais surtout des pubs, des clips… On vient chercher du spectaculaire. La montagne, c’est souvent du survival, de l’exploit, et nous c’était tout le contraire : le film est une déclaration d’amour à la montagne, au métier de guide… Et donc les gens du coin étaient contents aussi de ça. On a commencé pendant le deuxième confinement, on ne savait pas si les remontées mécaniques allaient ouvrir, ni si l’aiguille du Midi allait rouvrir… Et si ça déconfinait, on avait peur qu’ils nous disent : « Ok votre tournage c’est sympa mais on a un manque à gagner. » Finalement, on a pu tourner là-bas et c’était vide. Puis, quand on a eu un peu besoin de figurants ça a été rouvert au public. Les gens enlevaient leurs masques spontanément là-haut. Au final, je me suis fait mal partout mais c’était pas grave : on faisait un film.