TRIANGLE OF SADNESS de Ruben Östlund

Pour son grand retour à Cannes après la Palme pour The Square, Ruben Östlund dégaine l’artillerie lourde avec cette satire marxiste au vitriol, généreuse et imprévisible. Un grand moment de rigolade en salles, face auquel il était franchement difficile de bouder son plaisir.

Au bout de quelques jours passés à enquiller les projections et à slalomer entre les badauds sous un cagnard très estival, il arrive forcément un moment où tout le monde a un peu envie de se lâcher. Et qui de mieux que le Suédois pour nous offrir ce type de séance complètement galvanisante ? Triangle of Sadness commence comme une radioscopie d’un couple d’influenceurs-mannequins et de leur rapport problématique à l’argent (rappelant les meilleurs moments de malaise de Snow Therapy), avant de les embarquer à bord d’un yacht pour une croisière entre ultra-riches, avec aux manettes un commandant de bord marxiste et alcoolique (génial Woody Harrelson). La dernière partie envoie une poignée de rescapés du bateau (clients et employés) sur une île en mode Koh-Lanta, le temps de renverser sauvagement les rapports de classe. Voilà pour le programme gourmand que le film déroule sur 2h30 qui filent très vite.

On le sait, Östlund a tendance à gêner aux entournures et il laisse sur le bas côté tous ceux qui ne supportent par sa manière bien à lui de charger la barque. Il est vrai que ce moraliste jamais moralisateur, virtuose du timing comique, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Son regard est toujours mordant, cruel et méchant, mais sa capacité à faire tout valdinguer (littéralement) a incontestablement quelque chose de très jouissif, de très galvanisant. Et que vous le vouliez ou non, l’épisode du repas en pleine tempête sur le bateau qui s’achève en une éruption collective de merde et de vomi restera comme le climax hilarant de cette première partie de festival. Ce qui sauve son cinéma de la morbidité clinique d’un Haneke ou de l’entomologie rance à la Seidl, c’est bien cette façon de façonner des personnages souvent odieux et néanmoins extrêmement attachants dans leur lâcheté et leur lucidité. Les films de la compétition sont proverbialement capables du meilleur comme du pire, mais dans la canalisation du pire, c’est toujours lui le meilleur.