UN PETIT FRÈRE de Léonor Serraille

Avec Un petit frère (présenté en compétition à Cannes 2022), Léonor Serraille livre une fresque familiale qui ne manque ni d’ambition ni de profondeur, confirmant tous les espoirs placés en elle à la sortie de Jeune Femme.

Pour commencer : ne pas se fier au titre. Là où Jeune Femme était tout entier consacré aux frasques de son héroïne, Un petit frère embrasse le roman familial de trois personnages, des années 80 à nos jours, avec une partie par personnage : la mère, l’aîné, le cadet. Laissant ses deux autres enfants « au pays » (la Côte d’Ivoire), Rose débarque en banlieue parisienne. Elle est plus ou moins bien accueillie par des proches qui la poussent à se caser avec un mari tout trouvé dans la diaspora, le dénommé Jules César (incarné par le toujours impeccable Jean-Christophe Folly). Mais Rose est trop indépendante pour rentrer dans le rang sans faire de vagues. Rapidement, elle se fait embaucher comme femme de chambre dans un hôtel anonyme et ce qui pointe à l’horizon, c’est un portrait de mère courage qui se casse le dos au travail pour ses enfants, un film « social » ou « engagé » pas terrible et pétri de bons sentiments, qui retracerait le rapport compliqué de la France à son immigration avec son lot d’exploitation au travail et de racisme systémique.

Un petit frère (2023)

Une famille française

Si le récit – limpide et épuré – se détourne avec autant d’élégance de ces chausse-trappes, cela tient sans doute en partie au fait qu’elle s’inspire de l’histoire de son propre conjoint, mais aussi à sa capacité à placer son regard à hauteur de personnages ombrageux, obstinés, décidés à ne suivre que leur instinct sans se préoccuper du qu’en dira-t-on. Dans une scène toute simple, Rose est au travail quand elle tombe sur un client de l’hôtel qui lui propose de partager son petit déjeuner sur le toit, à l’abri des regards indiscrets. Une rencontre comme saisie à la volée qui l’amène ensuite à tout plaquer pour filer dans la région rouennaise où ses deux garçons devenus ados feront l’expérience d’autres codes sociaux en fréquentant les enfants des bourgeois du coin. Finalement, on retrouve çà et là ce qui nous avait déjà bien emballé avec Jeune Femme : un goût affirmé pour l’imprévisibilité et une façon de vivre sa vie au jour le jour en se laissant porter par l’existence. Le tout dans un registre absolument pas léger ni primesautier. Un petit frère nous épargne les engueulades et autres crises de nerf pour laisser poindre à feux doux les solitudes et les angoisses de ce trio qui doit batailler à tour de rôle pour s’affirmer et trouver sa voie. En ce sens, Serraille emboîte le pas des très beaux Enfants des autres de Rebecca Zlotowski, chacune à sa façon cherchant la juste manière de raconter des modèles familiaux sans cesse recomposés, secoués par les intermittences du cœur. Et ce faisant, elle offre un écrin aussi rare que précieux à toute une génération de comédiens qui étaient pourtant bien identifiés depuis quelques années (Stéphane Bak magnétique, Ahmed Sylla dans un contre-emploi parfait et Annabelle Lengronne, bouleversante), mais qui trouvent ici enfin un terrain de jeu plein de finesse pour montrer de quel bois ils sont trempés.