Van Damme : « L’amour, c’est la chose la plus puissante au monde »

Début 2022, l’information s’est répandue comme une traînée de poudre suite à des bribes d’entretien malencontreusement recyclées : JCVD aurait pris sa retraite. Il n’en est rien, évidemment. Au contraire. L’acteur tout-terrain, bientôt 62 ans et presque autant de vies et de carrières, amorce son virage sexagénaire en se réinventant, avec deux projets de comédies. Exit la baston, welcome back l’introspection ?

Vous avez 61 ans. Les bastons au ciné, c’est terminé ?
Oui. En tout cas, pas comme avant. Ce que je faisais sur Bloodsport, c’est impossible aujourd’hui, je dois me rendre à l’évidence. Après, il faut comprendre qu’il y a une différence entre les vrais combats et le combat au cinéma. Au cinéma, il faut épouser les angles de la caméra, rentrer dans le cadre, bien montrer d’où ça sort et où ça rentre, être millimétré. Dans les vrais combats, c’est plus court et ça va plus vite. Typiquement, j’ai fait un film avec Mike Tyson, Kickboxer : l’héritage (2018). Lui, quand ça part, tu vois rien venir. C’était sympa et efficace mais il n’avait aucune idée de la bonne manière de mettre des coups de poing assez larges pour bien les faire sentir à l’écran. Ils étaient trop courts et trop rapides. Résultat, à la caméra, c’est pas beau à voir. La première leçon au cinéma, c’est qu’il faut exagérer les mouvements et ça demande une vraie expertise.

Vous l’avez acquise comment cette expertise ? Au fur et à mesure ? À partir de Bloodsport ?
C’est inné ça ! C’est comme un bon masseur : certains savent bien masser dès le départ, d’autres finissent par y arriver au bout de deux ou trois ans, d’autres jamais. Mais au final, eh, soit tu l’as, soit tu l’as pas.

Qui sont les comédiens d’action qui trouvent grâce à vos yeux, ces temps-ci ? 
Je ne sais pas, même un film comme John Wick, ça me fait chier (il mime des petits coups de poing inoffensifs). Je trouve ça un peu trop mécanique et répétitif. Je sens pas l’effort, les veines qui se contractent dans le cou, la souffrance. J’aime bien quand ça part en sauvagerie, et le seul moyen d’obtenir ça, c’est avec des vrais combattants, des bons, ou alors des cascadeurs.

Donc, il n’y a pas encore de nouveau Van Damme ?
(Il réfléchit) Je veux pas me la jouer, mais… Dans les grands spécialistes d’arts martiaux au cinéma, il y a eu un tsunami Bruce Lee, ensuite il y a eu une vague Chuck Norris, puis Van Damme. Mais si je viens à mourir, qui sera le prochain Van Damme ? Il n’y en a pas aujourd’hui. Pour l’instant, je reste le godfather des arts martiaux. Mais ce serait chouette que je me trouve un héritier à former. Ça me plairait bien, ça.

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Plus globalement, il y a des grands comédiens aujourd’hui avec qui vous sentez une connexion particulière ?
J’aimerais bien aller voir Alain Delon dans son château pour discuter avec lui, partager ses angoisses. Je voudrais lui demander : « Pourquoi ta solitude ? ». On partage la même souffrance, même s’il a un caractère beaucoup plus fort que le mien, je crois. Quand il dit non, c’est non. Alors que moi, quand je dis non, après ça peut être oui. Mais les gens spéciaux sont très durs avec eux-mêmes et donc aussi avec les autres, c’est logique. Est-ce qu’ils ont tort ? Est-ce qu’ils ont raison ? Je crois qu’ils sont plus près de la raison.

Ça peut être une force d’être hypersensible quand on fait ce métier ?
Ça dépend… Parfois, j’aimerais moins ressentir, moins réfléchir, moins voir.
Avoir le QI d’une moule, quoi. Ça m’irait bien d’être du côté des moules parfois (il se marre). Ça m’éviterait quelques souffrances, comme Alain… Tout serait plus simple. Après, bien sûr que l’hypersensibilité ça peut aider. Le chagrin par exemple, si tu sais l’apprécier, tu peux y trouver une certaine mélancolie. Tu peux puiser dans le chagrin. Car quand tu souffres, tu es plus dans l’acuité, dans le détail. Juste, il ne faut pas trop rester dedans…

Ce trait de caractère remonte à loin ?
Je crois… Gamin, j’adorais la musique classique. L’épique. J’écoutais que ça. Wagner, Rossini… Ça m’a jamais quitté. Après avec ma sœur, je suis passé à Claude François (rires) !

Et c’est la musique classique qui vous a amené à la danse ?
Je pense pas. J’aimais plutôt la sensibilité que ça exigeait, la beauté du mouvement, la force qu’il faut acquérir pour être « relax ». En vérité, c’est beaucoup plus dur que le karaté ; il faut que tout reste rectangulaire, droit, décomposé. Tu ne peux pas tricher quand tu dois lever la jambe sans bouger les hanches. Et les profs n’ont pas de pitié !

Ça ressemblait à quoi votre routine, quand vous étiez enfant ?
Mes parents avaient leur magasin de fleurs, en dessous de notre appartement. Le matin, je partais à l’école. J’étais tellement mauvais que mon père m’a appris lui-même les maths. Je restais au fond de la classe, je m’emmerdais en me demandant ce que je foutais là… Et l’après-midi, je repassais en courant déposer mes affaires, je faisais mes devoirs à toute vitesse et je filais retrouver mon prof de karaté. Je revenais le soir, et je préparais ma propre nourriture : mes petits steaks, mes œufs. Puis j’allais dormir. Le train-train habituel, hyper rigoureux.

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Les garçons qui faisaient de la danse classique n’étaient pas moqués ?
Non, on ne se moquait pas spécialement de moi mais il a fallu, dans tous les cas, que je fasse un choix entre danse et karaté car je commençais à développer des triceps… J’avais des steaks comme
ça (il montre ses biceps) ! J’avais le choix : travailler dans l’équipe de Maurice Béjart ou bien continuer à la fédération de karaté. Je suis resté dans le karaté. C’est un milieu qui m’a fait grandir avec des gars de la rue, pour beaucoup issus de l’immigration, de l’Afrique de l’Ouest, etc.

Vous aviez déjà un rapport à la discipline et à la performance assez extrême, non ?
C’est aussi que je n’avais pas le choix : j’avais 10 ou 11 ans et j’étais avec des mecs de 16-17 ans qui avaient une carrure de gars de 35 ans. Certains grands appuyaient leurs coups contre le gamin que j’étais, il fallait bien que je me défende et que je me développe…

On vous imagine très peu bagarreur, en fait…
En sparring, avec les plus jeunes, j’ai toujours été très doux. Je ne voulais pas faire mal à des combattants moins aguerris. Et dans la rue, j’ai même peur de me battre ! Parce que si je mets une bonne claque, ça peut faire des dégâts. Tu peux casser un cou facilement hein, avec un bon coup de pied au visage. Tu t’attends pas à ce coup-là. Avec une grosse cuisse, si ça part vite et bien… En plus, quand je frappe, ce n’est pas juste mon pied qui frappe : c’est ma hanche. Mon pied d’appui se tourne au moment de l’impact, donc c’est comme un tournevis. Schlack. C’est horrible.

À quand remonte votre envie de célébrité ?
J’avais 9-10 ans. Mon premier film vu au cinéma, c’est Lawrence d’Arabie. Pour mon père, un ticket de cinéma c’était déjà une petite somme, donc il m’amenait voir LE bon film. Fallait pas se louper. Moi je vois ça, je me dis que je veux être de l’autre côté de l’écran. Forcément. Le Docteur Jivago a suivi, ainsi que les Delon, les Belmondo, les Gabin… Et puis une chanson de Brel, que j’ai toujours adorée, ma préférée : « La Quête ». Si tu écoutes les paroles, tu comprends que c’est important pour moi, ça raconte un peu ma trajectoire… Ça, c’est les moments clés. Ceux qui m’ont incité à voir les choses en grand. Et puis y’avait une dame, ma mère, qui me disait : « Tu vas réussir. » Mon père, c’était plutôt : « Écoute, l’Amérique c’est compliqué, tu n’as pas de carte verte. Tu ne veux pas plutôt travailler dans un magasin de fleurs, tu achètes une tête de rose à 1 franc 50, tu la revends 10 francs… C’est du gros bénéfice ! » ; « Ok pa’, t’as raison… » (rires)

Au début des années 80, vous partez donc à l’aventure aux États-Unis. Évidemment, vous galérez. Vous n’avez jamais douté ?
À certains moments, j’étais dépressif et j’ai failli craquer, plusieurs fois. Mais il y avait toujours un nouvel appel pour un casting ou un rendez-vous. Et je me disais : « Bon allez, dans 5 jours j’ai ce rendez-vous, peut-être que ça va sauver l’histoire. » Et ainsi de suite, tout le temps. J’avais une voiture pourrie, un 4×4 Volkswagen, dans laquelle je dormais. J’avais mis des oreillers, une banquette et 2-3 jeans pour les auditions. Pour avoir une bonne hygiène de vie, je m’entraînais très tôt le matin au Gold’s Gym à Venice, où tu n’avais pas besoin de montrer ta carte de membre. La nuit, c’était des portiers de boîtes de nuit qui gardaient les lieux et les machines étaient attachées avec des chaînes. Et puis ça me permettait aussi de prendre des douches gratuites, vu que je dormais encore dans ma voiture…

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Vous avez quand même quelques soutiens, sur place ?
En fait, ce qui s’est passé c’est que j’ai fini par trouver la maison de Bob Wall, un combattant qui a beaucoup tourné avec Bruce Lee. Je lui ai montré mes coups de pied, et il a pris son téléphone pour appeler Chuck Norris. Il dit : « Écoute, il faut que tu rencontres ce garçon, il est incroyable, des jambes comme ça, blabla… » De fil en aiguille, je me retrouve chez Chuck, dans les hauteurs de Los Angeles. Là, je tombe sur un mec qui s’appelle Joe Jackson, champion du monde de full contact. On fait du sparring ensemble, j’envoie un coup de pied retourné, je le touche au foie et il tombe K.O. Chuck était là, il a bien aimé… Et voilà. J’ai commencé à m’entraîner avec lui, puis je l’ai accompagné aux Philippines pour un tournage.

Comment ça s’est passé ? 
On s’appréciait beaucoup ! Il voulait m’héberger dans sa maison, celle qui avait été construite pour Brando pour Apocalypse Now. Il m’a fait boire la première bière de ma vie, en me disant : « Avec ça tu vas pouvoir bien dormir. » Je la prends et évidemment, le lendemain matin j’en veux deux. Je suis d’un tempérament addictif.

Mais vous faisiez quoi, sur le tournage ?
Plein de trucs. Le soir notamment, je devais surveiller son frère dans les bars, parce que j’étais quand même un beau bébé. Et lui, quand il avait bu, il insultait les gens. Je devais m’interposer entre lui et les Philippins. « Pardonnez-le, blabla… » Donc la nuit, j’étais garde du corps et le jour, j’étais figurant pour 35 dollars per diem. En gros, je dormais pas. Mais j’ai réussi à économiser et c’est grâce à ça que je me suis cassé, car j’en pouvais plus.

Vous êtes rentré aux États-Unis ?
Non, à Hong Kong d’abord, où j’ai rencontré Jackie Chan. Ensuite les choses se sont un peu accélérées, j’ai réuni un minimum d’argent et j’ai pu monter ma propre salle de sport, à Bruxelles. Ça a bien marché, puis j’ai annoncé à mon père que je voulais repartir faire ma vie d’acteur. Il me répond : « T’es fou. Tu fais quatre fois les recettes de mon magasin de fleurs, tu as l’une des plus grandes salles de sport de Belgique et tu veux te tirer… » Au final, je suis reparti avec 3 000 dollars en poche.

Et Mohamed Qissi…
Ouais, Momo, mon ami d’enfance. Super combattant. Je lui ai dit : « Viens, on va se trouver une place à Hollywood. » Il est venu et il a joué dans Bloodsport, Kickboxer, Full Contact

Vous êtes toujours potes ?
Oui… Il m’a appelé hier. Attends, je le rappelle, tiens.
[ Van Damme prend son téléphone et passe un appel, en haut-parleur. Qissi décroche :
« Ouais frérot, comment va ?
–  Comment ça va, Momo ?
–  Oh purée, tu dois savoir où je suis là. Je vais t’envoyer des photos. Quelle vue de Strasbourg j’ai là ! C’est extraordinaire. Je suis en train de prendre une bonne bière, je te dis pas ! Ça va ?
–  Ouais, je suis en interview ! On explique Bloodsport, Tong Po, tout ça… On voulait te dire bonjour. On se rappelle vers 18 heures ?
– Impeccable, je te rappelle !
– Ok mon amour, à tout à l’heure.
– Bisous, frère ! »
Tout le monde se marre. Van Damme raccroche. ]

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Là, avant de percer, vous enchaînez les petits boulots ?
Oh oui… Taxi, serveur, videur, conducteur de limousine… Quand tu n’as pas d’argent à Los Angeles, c’est horrible. Tout le monde t’ignore, c’est comme si tu n’existais pas et tu passes ta vie dans les malls pour profiter de l’air conditionné. Pendant des heures, tu regardes les gens passer, les yeux dans le vague… J’achetais un truc qui recensait tous les castings et qui sortait le jeudi matin. Moi, je me le procurais le mercredi à une heure du matin, quand ils livraient. Comme ça j’étais le premier à l’avoir et j’envoyais mes photos immédiatement. Je louais même une boîte postale pour recevoir les réponses par courrier ! C’est comme ça que j’ai fini par décrocher un rôle dans Le Tigre rouge (1985). Ensuite, ça s’est un peu emballé.

Vous explosez avec Bloodsport, l’histoire est connue. Ce qui l’est moins, c’est votre expérience sur le tournage de Predator, où vous deviez jouer la créature du film…
J’ai intégré le projet car le producteur, John Davis, était le fils de Marvin Davis, qui tenait LA Fitness, une chaîne de salles de gym. Ils avaient besoin d’un mec imposant physiquement, alors on m’a donné rendez-vous à la 20th Century Fox. John McTiernan m’a fait courir, sauter, etc. Il voulait voir ma souplesse. Moi, je portais un justaucorps de danse et je me suis exécuté. Il dit : « Okay, you got the part. » Ensuite, ils ont voulu me voir avec le costume du Predator et ça s’est compliqué.

Vous explosez avec Bloodsport, l’histoire est connue. Ce qui l’est moins, c’est votre expérience sur le tournage de Predator, où vous deviez jouer la créature du film…
Ils ont coulé le costume sur tout mon corps, avec du plâtre, des bandages, du plastique. J’avais juste deux pailles dans le nez, pour respirer. Je pouvais même pas ouvrir la bouche. Sauf que moi, je suis claustrophobe. Je commence à flipper, je leur dis : « Écoutez les mecs, est-ce qu’on peut pas faire d’abord l’arrière du corps, puis l’avant, petit à petit… » Ils me disent : « Non, on va te couler tout entier ! » Mes pieds étaient gonflés de chaleur, seules mes mains étaient libres. Momo Qissi était là. Je lui dis : « Si je fais ce geste là (il lève le pouce), tu me promets que tu déchires tout le costume et tu me sauves. Je compte sur toi hein ! » Ça prend au moins vingt minutes, dans le noir complet, tu n’entends rien, tu as des trucs dans les oreilles, dans la bouche, avec la chaleur qui monte. C’est long ! Et j’entends juste Momo, au loin : « Cinq minutes ! Plus que cinq minutes ! Trois minutes ! » Ils ont fini par ouvrir. J’avais l’impression d’être à l’intérieur d’un œuf de dinosaure, tu sais, avec la chaleur et la vapeur qui s’échappent. J’étais rouge et j’avais doublé de volume.

Et le tournage ?
À Mexico ! Le costume, géant, était terriblement mal fait : mes pieds étaient dans les mollets, et j’étais perché sur des échasses. Joel Silver, le producteur de Commando et tout ça, était là. Je lui dis : « J’ai trop chaud, il me faut la clim là-dedans ! » Je commençais déjà à le faire chier. Je dis à Momo : « Écoute, si je saute là sur les échasses, je me casse les jambes. Je suis karatéka, je connais mon corps. » L’acteur Carl Weathers vient me voir : « Ne te fais pas renvoyer du film, Jean-Claude, attends que ça soit Silver
qui te renvoie. Si tu quittes le plateau de toi-même, tu travailleras plus jamais à Hollywood. »
Joel Silver me dit de dégager, je dégage. Ils me remplacent, et voilà : le cascadeur se pète les deux jambes, direct. Alors, ils ont changé de costume. Mais je vous promets que le premier costume, les enfants, il était super ! Long, avec des dents horribles… Pas du tout ridicule !

Parlant de costumes, vous avez donc imposé Mohamed Qissi pour le rôle légendaire de Tong Po, dans Kickboxer (1989). Comment ça s’est passé ?
Je savais qu’il serait super dans le rôle. Tong Po est asiatique, Momo arabe, mais c’est un vrai combattant ! Le problème, c’est que Mark DiSalle, le réalisateur, il n’aimait pas trop Momo. Donc je l’ai fait maquiller à Los Angeles et je l’ai amené à Hong Kong comme ça en avion, dans un beau costard blanc, avec prothèse pour le crâne et les cheveux, sous la clim pour pas que ça dégouline. Il était méconnaissable. Sur le tarmac, on retrouve Mark. Je lui dis : « J’ai trouvé notre Tong Po, regarde ! S’il te convient, tu le prends dans le film. » Il le voit qui sort de l’avion, en haut des escaliers. Et il l’adore, direct, il est hyper impressionné, sans même le reconnaître. Quand je lui ai dit qui c’était, il a bien été obligé de l’engager…

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Par la suite, en tant qu’acteur, il y a un cinéaste en particulier qui vous a formé ?
J’ai vraiment commencé à apprendre l’acting quand j’ai rencontré Ringo Lam, au milieu des années 90. On avait bu un peu de vin, il se lève et crie : « Je vais t’apprendre le jeu ! » Ringo jette son verre qui s’éclate contre une table, manquant de me crever l’œil. Il prend un crayon, trace une ligne droite, puis une autre au-dessus pour marquer l’exagération et une autre en dessous. Il me dit : « Voilà, ça c’est le jeu. C’est tout ce que tu dois savoir. Un mec comme De Niro, c’est la ligne droite. Il est neutre, il monte pas, il descend pas mais tu ressens tout. » Certains se sentent obligés de pousser la gomme pour faire plaisir aux producteurs, donc ils en rajoutent des caisses, ils en font toujours un peu plus et au final, ça pue. Un mec comme Belmondo, pareil, il reste sur la ligne. Attention, c’est hyper dur de jouer du Belmondo ! Je les admire, ces gars-là. Pareil pour Poelvoorde ou De Funès : ils jouent la comédie, mais ils restent sérieux. Sur la ligne. Leurs yeux, ça bouge à peine. Tu en prends plein la gueule avec pas grand-chose. Ils sont très forts. Pour atteindre ce niveau-là, tu as besoin d’un grand cinéaste. Tu vois DiCaprio, quand il a rencontré Scorsese, bah il est entré dans une autre dimension de l’acting

Vous n’êtes pas qu’acteur : vous écrivez et avez même remonté certains de vos films…
Ouais, toute ma vie j’ai dû corriger mes films. Faire le montage, reprendre les scripts, etc. Si j’avais pas fait ça (il agite la main, catastrophé)… Quand j’ai vu Bloodsport pour la première fois, c’était un massacre. Je fais un coup de pied en l’air, ils prennent pas le coup de pied, ils vont sur un close-up (gros plan). C’était horrible, les gens rigolaient du film alors que moi, je savais que j’avais fait des bons trucs et que ça pouvait être super et trop bien passer à l’écran. Golan et Globus m’ont laissé remonter et il s’avère qu’en découpage de l’action, je me suis révélé pas mauvais. Sans son, sans musique : je veux juste que ça soit fluide. Je suis bien avec ça parce que je suis logique. J’ai ça dans la peau. Mais attention hein, à l’époque c’était sur pellicule ! Avec le scotch, la colle, pas sur ordinateur. Si tu veux faire un slow- motion (ralenti), il faut téléphoner au labo. J’ai commencé à sauver mon cul comme ça. Le problème, c’est que je l’ai fait dès Bloodsport, et ça a fait peur aux autres réalisateurs…

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C’est devenu systématique ?
Ah non, attention ! Quand t’as un réalisateur qui découpe bien le film, comme Jean-Claude Van Johnson qui a été produit par Ridley Scott ou même le film JCVD, je touche pas ! Hey les gars, j’ai fait cent films, j’ai vraiment pas envie de passer tout mon temps dans la salle de montage, si tu peux m’épargner et me laisser partir en vacances, les enfants, je suis content… Après, pour certains c’est devenu une habitude : les producteurs me laissent souvent une quinzaine de jours pour que je donne mon point de vue sur les scènes d’action. Là récemment, j’ai repris Le Dernier Mercenaire sur Netflix, j’ai mis un coup de peigne, on l’a monté de 30 % en retours positifs. Pour que je puisse faire ça, c’est sûr que le mieux c’est d’avoir plusieurs caméras. Quatre, c’est bien. Plus tu te couvres, mieux c’est. Mais moi, mon avis, c’est que si tu sais pas découper une scène d’action, tu auras du mal à découper une scène de drama. Tout ça, ça va ensemble… C’est du timing !

Pourtant, vous avez aussi remonté Chasse à l’homme, de John Woo. Et vous êtes le premier à savoir que le sens du timing, il l’a…
Ça c’est différent. Ils ont fait huit montages, huit projections-tests. À chaque fois, en dessous de 30 % de retours positifs. Donc mathématiquement, ça partait en direct-to-video. J’ai été voir le patron d’Universal, Tom Pollock. Je lui ai dit : « Donne-moi les clés du montage. » J’y suis retourné avec Bud Smith (monteur de William Friedkin notamment, ndlr). On est passés à 80 % de retours positifs. Mais bien sûr que John Woo sait découper ! J’adore son cinéma, d’ailleurs c’est quand j’ai vu et adoré The Killer que j’ai été à Hong Kong pour le rencontrer grâce à un pote à moi, Charles Wang (producteur historique hongkongais décédé en 2007, ndlr). C’était le moment de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, donc beaucoup de cinéastes cherchaient à s’exiler. On a sauté sur l’occasion et j’y ai été avec Chuck Pfarrer, le scénariste de ce qui allait devenir Chasse à l’homme. Le premier problème, c’est que Pfarrer n’a eu qu’un mois pour écrire le script ; le deuxième problème, c’est que John Woo ne parlait pas anglais et n’a pas pu choisir son équipe, le malheureux ; le troisième problème, c’est qu’après le montage, son style n’est pas franchement passé auprès du public. Les pigeons en slow-motion, les Américains n’ont pas compris. J’ai sauvé le film, mais franchement j’en suis pas fier, j’adore John Woo !

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En fait, vous êtes l’auteur de vos films. Vous passez avant le cinéaste. Vous êtes l’anti-Nouvelle Vague.
Je ne sais pas, c’est pas un choix conscient. Alain Delon par exemple, il a eu beaucoup de chance. Il a tourné avec les plus grands, de Melville à Berlusconi ! Visconti pardon… Berlusconi, c’est autre chose (il se marre). Jean-Claude le dyslexique… Donc je disais, Delon il a tourné avec les plus grands. Et quand tu tombes dans les mains d’un grand, c’est pas la même salade… Moi, j’ai tourné avec énormément de cinéastes de seconde équipe. Alors oui, parfois j’ai pu prendre le dessus. À la fin de la journée, tu travailles trois mois sur un film, tu vas pas le foutre en l’air parce que le réalisateur a trop d’ego et veut pas qu’on touche à un montage qui ne fonctionne pas. Stallone, il fait la même chose. Eh oh, c’est toujours le public qui décide ! Pendant les projos-tests, ils remplissent une petite fiche, ils disent ce qui marche ou ce qui marche pas. Y’a pas d’ego qui tienne, c’est normal. C’est le public qu’il faut combler ! Et parfois, je tourne même des scènes que j’aime pas hein…

Lesquelles par exemple ?
Bah, dans Chasse à l’homme par exemple, Tom Pollock me dit : « Il faut une scène où tu assommes un serpent à sonnette pour sauver la fille. » Je dis : « Quoi ? T’es complètement con ou quoi ? Je vais pas… BAM (il fait le geste du coup de poing) un serpent, c’est ridicule ! ». Ben j’ai fini par le faire, et les gens adorent cette scène. Il avait raison. Le plus dur, c’est de savoir ce que le public attend. Et un mec comme Pollock, qui fait des millions, il sait.

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Stallone ou Schwarzenegger, ils font la même chose ? Ils remontent ?
Schwarzenegger, il laisse faire le réalisateur. Il va jouer six ans au tennis avec Ivan Reitman pour obtenir le rôle dans Jumeaux, mais après il lui laisse les mains libres. Stallone, c’est tout l’inverse. Il ne peut pas s’empêcher de prendre la caméra sur l’épaule. C’est pour ça qu’aucun grand cinéaste ne veut travailler avec lui. Ils en ont peur ! Parce qu’attention, Stallone il connaît tout. Les angles, les lentilles... C’est un malade. il laisse rien passer. Et puis aussi, y’a un truc : que ce soit sur la taille ou les habits, n’importe quel domaine, il faut toujours que dans le film, il soit un peu mieux que toi. Dans Expendables, les gens étaient très mécontents que je meure et que Stallone me crache dessus !

C’est pas un peu pareil pour vous ? Vous avez parfois remonté pour avoir plus de place à l’écran, non ?
Alors là, pas du tout ! Je joue avec des grands, des petits ! Même Frenchy (qui sortira prochainement, ndlr) le film que j’ai produit et réalisé sur plusieurs périodes, à des âges différents, vous allez voir, je mets tous les acteurs au-dessus de moi. Ils ont plus de place, plus d’importance. Je suis en retrait. Après oui, je ne vais pas vous mentir : quand les gens viennent voir un film avec Van Damme, il faut leur donner du Van Damme. Mais je suis quand même flexible, si tu me dis que le méchant doit avoir plus de charisme que moi parce qu’à la fin, je reprends le dessus et c’est d’autant plus fort, je dis : « Hey captain, no problem… »

Êtes-vous du genre à revoir vos films ?
Mes trente ou quarante derniers films, pas du tout. Maintenant, je fais un film et une fois qu’il est fini, pschitt, terminé. Je ne le revois plus. Au début c’était différent, j’allais dans les salles de cinéma, je regardais les réactions des gens, tout ça. Mais à l’époque, Mickey Rourke m’avait averti, il m’avait dit qu’on revoyait pas ses propres films. Je m’étais dit : « Il est full of shit, il me raconte que de la merde celui-là, pourquoi il me ment ? ». Et en fait, il avait raison. Mais ça veut pas dire que je ne les aime pas ! J’ai fort aimé In Hell de Ringo Lam, par exemple. Il était dur celui-là, ça se voit à l’écran. Je me suis cassé deux doigts, des vertèbres, des genoux, deux de mes cascadeurs se sont cassé les ménisques… Un carnage. Quand tu vois les chutes, y’a pas de trucage là- dedans.

Et parmi les films dans lesquels vous n’avez pas joué ?
Ah, les Bruce Lee à l’époque c’était quelque chose, ça tapait fort. J’adore aussi Le Bagarreur de Walter Hill, avec Charles Bronson. Mais quand tu revois le premier Rocky, tu vois les misses, tu captes bien que le poing ne frappe pas le visage : y’a « ça » de gap, c’est pas acceptable…

Vous parliez de In Hell. Vous avez connu un épisode compliqué, juste après le tournage…
Ouais, en Russie. J’ai été contacté par une commerciale et j’ai été kidnappé. C’était horrible, on pourrait en faire un film, c’est Taken. J’étais avec mon assistante, Kathy Brayton. La pauvre. Y’a des témoins, hein. Si j’avais pas fait du karaté, je m’en serais pas sorti. Ça a été violent, dégueulasse. Je me souviens, j’avais le dos défoncé à cause du tournage de In Hell, et tout ce que je me disais pour m’en sortir, c’est : « Okay, combien de mecs je peux défoncer ? Lui, je lui enfonce le doigt dans l’œil, lui, je lui arrache le visage. » Là, avec l’adrénaline, tu deviens une vraie méchanceté, une bête folle furieuse. Ce qui me faisait le plus chier sur le moment, c’est que j’avais pas de téléphone pour dire adieu à ma femme. Je me suis échappé tout seul, j’ai arrêté une voiture au hasard, dans la rue, et je me suis retrouvé à l’hôtel Marriott. Là je me suis vu dans une glace, à la réception. J’étais blanc, presque vert, les yeux rouges. Un diable ! Et après c’est des gens de l’ambassade de Géorgie qui sont venus me chercher et ont voulu m’exfiltrer. Mais là moi, j’étais parano. Je voulais pas sortir, j’avais peur. Kathy, elle, est descendue au lobby avec ses affaires. Ils lui ont dit : « Laisse tout, laisse tout ! » On est partis avec trois voitures jusqu’à l’aéroport et là, j’ai décompressé.

Mais qui a essayé de vous kidnapper ? Il y a eu des suites ?
J’ai pas très envie d’en parler. Je pourrais te raconter des histoires à la Steven Seagal, mais je te jure que c’est la vérité. Après cet épisode, j’ai commencé à investir dans les briques (dans l’immobilier, ndlr), car j’ai réalisé que c’était pas forcément bon d’avoir trop d’argent en cash, à la banque. Surtout que ces gens savaient que mon père avait accès au compte via sa signature…

Au milieu des années 90, vous traversez une période très sombre. Et après Street Fighter, on vous propose beaucoup moins de rôles intéressants. Votre carrière décline. Pouvez-vous l’expliquer ?
(Il se lève et s’assoit sur le canapé pour câliner le petit chien qui l’accompagne depuis le début de l’interview, Lola) Ah je sais pas, y’a plein de raisons… Je viens du dojo, j’essaie d’avoir des valeurs conformes à ça… Et à Hollywood, certaines personnes m’ont menti. Et puis, au fond, je suis resté le garçon de la Belgique, pas vraiment à la hauteur de la gloire, en décalage avec ce milieu… Je me sentais mal, quoi. À un moment, j’ai réalisé que j’étais plus proche des mecs qui garaient les voitures, plus proche des valets, que de mes partenaires à l’écran.

Il y a la drogue aussi.
Ouais. C’est l’époque où je commence les conneries. Ça débute par une histoire de cul, comme toujours. De celles qui peuvent vous foutre en l’air. Mais attention, c’est moi qui ai déconné. C’est parti mal et voilà, quoi, j’ai quitté ma femme, je me suis remarié, j’ai eu un enfant… Et puis je suis revenu au bercail, en Belgique, près de mes parents, avec celle que j’avais quittée. J’ai repris tout doucement de la force et alors, j’ai décidé de m’exiler à Hong Kong. Comme je n’ai jamais été fort à l’école, j’ai profité de cette période en Asie pour apprendre plein de trucs et rattraper le temps perdu.

Comment ?
J’ai découvert mon meilleur copain : YouTube. J’y ai passé dix ans, jour et nuit. Café, cigare, café, cigare. Égyptologie, origine du monde, génétique… Encore aujourd’hui, tous les soirs. J’ai été autodidacte dans plein de domaines. L’intelligence artificielle, aussi.

Qu’est-ce qui vous a fasciné ?
Bah je sais pas, en ce qui concerne le cinéma par exemple, bientôt je pense qu’une intelligence artificielle pourra sortir le scénario parfait en un rien de temps. Le scénario qui plaira à tout le monde, sans la moindre incertitude, avec un box-office énorme.

Il manquera peut-être la sensibilité
Ça, c’est parce que vous croyez que l’intelligence artificielle n’est pas capable de sensibilité !

À une époque, vous avez été beaucoup moqué du fait de vos fameux aphorismes. Comment vous le vivez, avec le recul ?
Avec le recul, ça me fait marrer. On se fout de ma gueule parce que j’ai dit que bientôt il n’y aurait plus d’eau, on peut voir aujourd’hui que je n’étais pas totalement à côté de la plaque. J’ai été à Monaco y’a un an, on m’a conseillé d’investir dans des entreprises qui fournissent de l’eau fraîche… Mais c’est plus sur la forme qu’on m’a attaqué, parce que j’ai livré des intuitions, des trucs que j’avais vaguement en tête, que je n’ai pas laissés mûrir avant de les formuler. Tu peux pas comparer un vin de trente ans et un vin de dix ans… Ça manquait de clarté et j’ai été un peu naïf, voilà.

Ça a été douloureux ?
Pas pour moi. Et aujourd’hui, je m’en fous encore plus. Mais ça a fait beaucoup de peine à mon père, par exemple. Il m’appelait quand il voyait des compilations, je devais lui expliquer le contexte : vingt minutes d’antenne, t’es stressé, tu parles vite, etc. Il a compris. Récemment il m’a vu à la télé, joli costard bleu, tout calme. Il m’a dit : « C’est comme ça que je t’aime. » À la fin de la journée, c’est tout ce qui importe : l’amour c’est la chose la plus puissante au monde.

Il y a de nombreux films où vous apparaissez en double et c’est même explicite dans Jean-Claude Van Johnson, où votre personnage fait la distinction entre le personnage public « JCVD » et la personne privée « JCVV », initiales de votre nom de naissance, Jean-Claude Van Varenbergh…
Ouais, parce que j’ai toujours eu ça en moi : est-ce qu’on m’aime pour ce que je suis ou pour ce que je représente ? La vie est courte, merde. On fait que passer. C’est pour ça qu’en interview, j’ai tendance à me livrer, à être sincère, même si, comme on l’a vu, ça me joue parfois des tours. Le truc à la con, là (il prend la pose avec un grand sourire) : « Bonjour, Jean-Claude Van Damme, enchanté, je suis hyper fier d’avoir réussi mais je reste simple… » Y’a plein d’acteurs qui le font hyper bien, ils ont une image qu’ils entretiennent à merveille mais je peux vous dire que la réalité est tout autre. Non, moi ça me saoule. Je suis incapable de faire semblant.

Avec l’accord de son agent AAC – Patrick Goavec (merci à lui).
Entretien tiré du dossier « JCVD, une histoire belge » à retrouver dans Sofilm n°93.