Visite guidée : LE SHINING HOTEL

– Visite guidée : LE SHINING HOTEL –

Stephen King y aurait vu des fantômes et Stanley Kubrick s’en est inspiré pour le décor de son Shining. Résultat ? Le Stanley Hotel, dans le Colorado, propose désormais des chasses aux fantômes et accueille son festival du film d’horreur. Visite paranormale. Par Brieux Férot    

« Qui a déjà vu des fantômes ? » Dans un salon boisé d’un majestueux hôtel du Colorado, une trentaine d’illuminés du spiritisme n’ont pas besoin de se jauger bien longtemps avant de lever la main. Emmy, la trentaine bien tassée : « Moi, ma mère et ma sœur avons vu un rocking-chair se balancer toute seule chez ma grand-mère, dans l’Ohio. C’était elle qui revenait nous voir, c’est sûr… » De nombreuses têtes acquiescent. Une autre : « Une fois, j’ai vu une femme passer par la fenêtre et retomber sur ses pieds. » L’assemblée opine du chef. Candy, la guide officielle, est en terrain conquis. Elle lève les yeux au ciel. Enfin, au-dessus de la cheminée, sculpturale : « Regardez : vous ne voyez pas un visage se dessiner ? » Trois taches jaunâtres sur un drapeau américain dans un cadre arriveraient-elles à faire passer la bannière étoilée pour un Saint-Suaire ? Pour Michelle, une touriste de l’Oklahoma, cela ne fait aucun doute : « Jésus ! »


« Regardez : vous ne voyez pas un visage se dessiner là haut ? »  
Candy, guide officielle

Des touristes qui voient ce que les autres ne voient pas, l’hôtel familial de 140 chambres érigé en 1909 par les frères Stanley – Freelan Oscar et Francis Edgar – en accueille par bus entiers, toute l’année. Sa réputation – et sa clientèle –, il la doit surtout au paranormal, enfin, à la buée sur les fenêtres… « Non, ce sont bien des fantômes », coupe Candy, soutenue par ses disciples d’un soir. Des dizaines d’apparitions supposées avaient animé les soixante premières années d’existence du Stanley Hotel, avant qu’en septembre 1974, Stephen King, pris au piège d’une tempête de neige avec sa femme Tabatha, se décide lui aussi à y passer la nuit. Ce soir-là, l’hôtel était quasi désert. Sa chambre ? La 217, celle « historiquement hantée ». Les versions diffèrent concernant la suite. Le serveur du bar se souvient avoir servi quelques verres, mais Stephen King est peu porté sur la boisson. L’écrivain, lui, a expliqué être allé se coucher avant de « voir en rêve » son fils de trois ans pris dans un incendie. Il se serait alors réveillé, se serait allumé une clope et aurait réfléchi à une histoire : celle de ce qui allait devenir The Shining. Mick Garris, qui a réalisé une version télévisée du livre dans les années 1990, tiendrait de King lui-même que ce dernier dînait dans la grande salle avec sa femme. Il aurait alors regardé un miroir et cru voir quelqu’un. Dans les deux cas, trente jours plus tard, son roman était terminé.  

Et Kubrick n’est pas venu…
La légende ne s’est pourtant emballée qu’un peu plus tard, lorsque le studio Warner Bros a acheté les droits du roman pour le confier à Stanley Kubrick. Qui s’est empressé de changer toute l’histoire. « Il a pris mon livre en otage, a déclaré cet été Stephen King. La version de Kubrick est une Cadillac flambant neuve sans le moteur. » Le cinéaste et l’écrivain ne se sont jamais croisés. Kubrick n’a même jamais foutu les pieds dans le Colorado, envoyant son équipe de repérage pour prendre des plans aériens. Conclusion : « Trop proche de la ville et pas assez de neige », dixit Jesse, qui a organisé un festival des films d’horreur au Stanley Hotel. « Le concept de Kubrick, c’était de prendre les meilleures parties de différents hôtels et d’en créer un seul, le meilleur, pour son film. » Si le Timberline Lodge dans l’Oregon inspirera les plans extérieurs et l’Ahwahnee Hotel du Parc de Yosemite d’autres pièces intérieures, l’intégralité du tournage aura ainsi lieu… à Londres, en reconstitution complète.    

Retour dans le hall de l’hôtel. La chasse aux ectoplasmes continue. Par un escalier en bois, une descente dans les entrailles de la bâtisse conduit le groupe dans une grotte, à même la roche. Candy regagne l’attention de son auditoire : « Regardez, je ne la montre pas à tout le monde mais voici une photo prise sur mon smartphone dans ce tunnel : c’est le fantôme d’une mère qui veille sur sa fille. » Après une bousculade, les interprétations d’une tache sur un écran animent les discussions. C’est cette même propension à l’affirmation de théories les plus folles qui a conduit à la production du documentaire Room 237. Le film propose une multitude de grilles de lecture des146 minutes de Shining : le génocide des indiens par les blancs, l’Holocauste et la surreprésentation du chiffre 42 – dont la room 237 n’est que la décomposition mathématique – ou encore la folie et autres invraisemblances, impensables en temps normal chez Kubrick : une télévision sans fil, un nombre de bagages improbable, un changement de taille et de perspective de l’hôtel en cours de film, un labyrinthe ouvert puis fermé…

Leon Vitali, qui est aujourd’hui l’exécuteur testamentaire de Kubrick après avoir été son assistant sur plusieurs films, était présent lors du premier festival de film d’horreur organisé par l’hôtel, en janvier dernier. Vitali en aurait profité pour réduire à néant toutes les intentions de Room 237, dont les multiples références liées aux Indiens : « Le sweat-shirt avec l’indien, c’est parce que le gamin avait froid et que c’est tout ce qu’il y avait à portée de main… »  Dehors, la dernière étape du périple de 2h30 à 50 dollars touche à sa fin. Direction la grande salle de bal de l’hôtel. L’occasion pour Candy de laisser « quartier libre » pour trouver des fantômes. Après quelques minutes d’un silence assourdissant, un pet sonore retentit. Autour de son auteur, le groupe venu du Kansas ne s’en remet pas, et rit grassement. Un enfant de douze ans, qui n’a rien entendu, parle tout seul derrière une porte. Quelques minutes plus tard, il ressort d’une buanderie avec un cliché d’une jointure sur son smartphone : « Regardez cette photo, on sent l’énergie. » Pas impossible. « Il faut beaucoup parler, avait expliqué Candy, les fantômes le sentent quand on les aime » La nuit est tombée. Teddy se grille une clope, dépité : « Moi, ça ne marchera pas, j’ai toujours eu des problèmes avec les femmes. » Aucun lien en apparence. Sauf, peut-être, à rappeler que le Stanley Hotel a aussi accueilli le tournage de Dumb and Dumber. – Voir Room 237, DVD et Blu-ray, Wild Side