Yolande Zauberman (La Belle de Gaza) : « Au bout d’un moment, l’enquête n’avait plus d’importance »

Après Would you have sex with an Arab? et M (César du meilleur documentaire 2020), Yolande Zauberman continue de promener sa caméra dans les nuits de Tel Aviv, cette fois-ci à la recherche d’une femme trans palestinienne qui a quitté Gaza à pied pour rejoindre Israël. Rencontre, de jour, avec une noctambule. Par Lucas Aubry

Françoise Sagan disait être attirée par la nuit parce que les gens semblent enfin avoir le temps, ils nont pas de rendez-vous dans dix minutes… Et vous, que venez-vous filmer la nuit ? 

Les frontières s’estompent, les gens qui traînent la nuit ont souvent beaucoup de choses à raconter. Et puis, à l’image, la nuit en elle-même est belle comme un rêve ou comme un cauchemar, on peut s’autoriser à être borderline, à prendre des risques. La nuit, ce n’est pas les ténèbres, ce que j’aime, c’est justement de chercher la lumière dans la nuit et il y en a encore beaucoup. C’est drôle, j’ai su il y a peu que pour les juifs, le jour commence toujours la nuit. 

Dites-nous en plus sur cette fameuse « Belle de Gaza » ? 

On m’a raconté qu’une fille que j’ai filmée une nuit par hasard au moment de M était venue à pied de Gaza jusqu’à Tel Aviv, ce qui me paraissait être le chemin le plus invraisemblable, non pas en termes de kilomètres, puisque les villes ne sont séparées que par 73 km, mais en termes de distance humaine. Et moi qui suis obsédée par les frontières et par les couples d’ennemis, je me suis dit qu’il fallait que je la retrouve, je voulais voir, non seulement qui était cette personne qui porte tout en elle – homme/femme, palestinienne/israëlienne… –, mais surtout savoir qui était cette personne et quelle était sa vision du monde. 

Sagan disait aussi que la nuit, les gens ont envie de parler, que ce soit pour dire la vérité ou pour mentir… Cela me fait penser à une scène du film où une femme prétend être la Belle de Gaza sans que lon sache si cela est effectivement le cas…

Puisqu’on n’arrivait pas à la trouver, on s’est dit qu’il fallait afficher des annonces dans cette rue Hatnufa, comme si l’on organisait un casting. C’est un endroit très étonnant, on se croirait dans un film de Mizoguchi, c’est une rue qui est à la fois classée et en même temps c’est la rue de la prostitution trans à Tel Aviv. Finalement, personne n’est venu au casting mais la personne qui a collé les affiches m’a conseillé de filmer une femme qui l’avait aidé un soir. Elle a posé comme condition qu’on ne reconnaisse pas son visage, c’est pour ça qu’elle a ce très beau voile sur la tête. Je l’ai filmée pendant plusieurs jours et elle a fini par reconnaître qu’elle était en fait la personne que l’on recherchait. Et c’est effectivement elle, sur notre photo, bien que je ne crois pas qu’elle vienne réellement de Gaza. À bout d’un certain moment, l’enquête n’avait de toute façon plus d’importance, au fond, toutes les femmes que l’on a rencontrées lorsque nous filmions portaient toutes en elle la Belle de Gaza. 

La Belle de Gaza (Séance spéciale), en salles le 29 mai.