ARMAGEDDON TIME de James Gray

Avec Armageddon Time, présenté à Cannes hier, James Gray fait son « 400 Coups ». Le New-Yorkais born and raised frappe à la porte de la compétition à Cannes avec son film le plus autobiographique, tourné dans le Queens et sur lequel plane l’ombre du magnat Trump. Jordan Mintzer – auteur d’un livre d’entretiens avec le cinéaste – s’est incrusté sur le tournage en pleine pandémie. Paparazzi, tests Covid et post-production en live… Récit exclusif dans le dernier numéro de Sofilm derrière l’épaule d’un des grands maîtres en activité. En voici un aperçu.

Adolescent, en 1992, je travaillais après l’école et le week-end dans une boulangerie du Queens, où j’ai grandi. Elle était située près de l’établissement privé Kew-Forest, fondé en 1918, dont je ne connaissais, en tant qu’élève du public, que la majestueuse façade rouge qui se démarquait des immeubles d’habitation de la classe moyenne environnants. J’étais déjà passionné de cinéma et discutais de tous les nouveaux films avec les clients de la boulangerie venus chercher un café ou un bagel. Un après-midi, un gamin est entré et, informé de ma réputation de cinéphile, m’a demandé si je connaissais James Gray. « Non, lui ai-je dit. Qui c’est ? » Il m’a répondu : « Il est allé à Kew-Forest. Personne ne connaît mieux le cinéma que lui. Il connaît tous les Coppola et les Friedkin par cœur ! » Il a acheté quelques bagels et s’en est allé en me glissant : « James est à L.A. en ce moment, il va réaliser son premier long métrage là-bas. » Il faudra eux années supplémentaires à Gray pour terminer Little Odessa, sorti en 1994, mais il était déjà une légende locale. Inutile de dire que je n’ai jamais oublié son nom.

James Gray a depuis réalisé sept films : un trio de polars situés à New York (Little Odessa, The Yards, La nuit nous appartient), deux mélodrames intimes (Two Lovers, The Immigrant), un film d’aventures historique (The Lost City of Z) et un film de S.F. aussi ambitieux que mélodramatique (Ad Astra). Quatre de ses longs métrages ont été présentés en compétition à Cannes, il a remporté un Lion d’argent à Venise à seulement 25 ans et fait partie aujourd’hui, avec David Fincher, Quentin Tarantino, Wes Anderson et Paul Thomas Anderson, des réalisateurs hollywoodiens issus des années 90 les plus encensés et iconoclastes. Pour son huitième film, Armageddon Time – le titre fait référence à un morceau des Clash sorti en 1979 sur la face B du single London Calling –, Gray a décidé de retourner dans le Queens pour réaliser son œuvre la plus personnelle à ce jour. Au croisement entre Les 400 Coups et Amarcord, l’action se situe en 1980, l’année de l’élection de Ronald Reagan. Une partie de l’histoire se déroule à l’école Kew-Forest, précisément là où le cinéaste a commencé à acquérir un début de reconnaissance, du moins aux yeux d’une poignée de gamins du quartier. Seulement voilà : l’école en question ne compte pas seulement Gray parmi ses anciens élèves, mais aussi un autre natif du Queens ; un certain Donald Trump. Le magnat et 45e président des États-Unis est né plus de deux décennies avant Gray, et il n’est pas directement le sujet du film – quoique la famille Trump et son héritage planent sur les événements de l’histoire, de la même façon que l’élection de Reagan. Pour l’anecdote : Donald Trump est renvoyé de Kew-Forest à 13 ans pour avoir mis une baffe à un professeur de musique, à la suite de quoi son père l’envoie à l’Académie militaire de New York, où l’un des élèves n’était autre que… Francis Ford Coppola.

Pour revenir à Gray et Armageddon Time : son double de 12 ans à l’écran, nommé Paul Graff, est interprété par un nouveau venu, évidemment roux lui aussi : Michael Banks Repeta. Le film est une sorte de coming-of-age teinté d’humour – une première pour le cinéaste qui sait se montrer plus drôle dans la vie que dans ses films. Il s’agit aussi d’un regard déchirant sur ce que c’est de grandir et de faire pour la première fois l’expérience de la perte : celle d’amis ou d’êtres aimés mais surtout de sa propre innocence, au moment où l’Amérique prend un virage vers le néolibéralisme, ouvrant un fossé social et économique qui ne fera que se creuser pour, finalement, exploser avec l’élection de Trump en 2016….

Pour lire la suite du reportage, rendez-vous dans les pages de Sofilm n°91, actuellement en kiosque.