ÇA TOURNE À SÉOUL! COBWEB de Kim Jee-Woon

Le film d’action, l’horreur, le thriller, le western et même la science-fiction : Kim Jee-woon est un touche-à-tous les genres. À 59 ans, le réalisateur de J’ai rencontré le diable revient plus empreint de légèreté. Avec Ça tourne à Séoul ! Cobweb, (présenté hors compétition à Cannes), il signe une Nuit américaine effrénée et drolatique en mettant en scène un cinéaste en butte aux producteurs et aux censeurs.

Faut-il voir en Kim Ki-yeol, réalisateur et personnage principal de Ça tourne à Séoul ! Cobweb, votre double, votre alter ego ou bien votre envers ? 
Quand je tourne un film, je suis un réalisateur plutôt calme et cool vu de l’extérieur. Alors qu’à l’intérieur, j’ai peur, je suis nerveux, en train de bouillir ! Ça se voit davantage chez Kim Ki-yeol, qui est beaucoup plus démonstratif. On a quand même des points communs. Comme lui, le film est tout ce qui m’importe pendant un tournage. Des gens peuvent se blesser pendant une scène et moi, je vais seulement me soucier de savoir si la scène a été filmée par la caméra comme je le voulais. Mais je me demande si ce n’est pas le cas pour tous les réalisateurs…

Toute l’histoire de Ça tourne à Séoul ! Cobweb découle de la volonté du réalisateur de réécrire la fin de son long-métrage après l’avoir tourné. C’est le type de doute qui vous taraude personnellement après chaque tournage ?
Bien sûr. Pendant un tournage, je fais des tas de rêves et énormément de cauchemars dans lesquels je me demande si j’ai bien fait de tourner de cette façon telle ou telle scène. C’est seulement à la sortie d’un film et avec de la distance qu’on se rend compte des problèmes que l’on n’avait pas vus auparavant. D’un autre côté, ce sentiment d’insatisfaction et ces regrets sont ma source d’énergie. Ils me font dire qu’à chaque fois je tenterai dans mon prochain film ce que je n’ai pas réussi à faire dans le précédent.

On sent une pointe de moquerie dans l’obsession pour le plan-séquence de Kim Ki-yeol.
Il y tient absolument du fait de l’ambition du projet et de son envie d’expérimenter avec cette technique. En fait, il pense qu’il en a besoin pour prouver au public et aux critiques qu’il a du talent et une vision. Ce plan-séquence, c’est de l’épate. Alors qu’il ferait mieux de se demander s’il en a vraiment besoin.

Le projet de Ça tourne à Séoul ! Cobweb est né pendant la pandémie de Covid-19 et de vos interrogations sur l’avenir du cinéma. Vous êtes toujours inquiet ?
Avec la pandémie, je me suis effectivement demandé si le cinéma, sans être mort, n’entrait pas dans une phase de déclin. Ce film est l’extension de cette question et de mes pensées. Dans le monde entier, on voit des sociétés de production ou des distributeurs tailler dans les effectifs. En tout cas, depuis sa création par les frères Lumière, le cinéma a surmonté diverses épreuves et de multiples crises. J’imagine qu’il pourra s’en sortir une nouvelle fois. Et comme le dit Kim Ki-yeol dans le film, il faut continuer à avancer et à tourner !

Pourquoi avoir choisi de situer votre film en 1970 ? C’est de la nostalgie ?
Oui. J’étais jeune à cette époque et je découvrais ce qu’était le cinéma, la pop, les séries télé. En même temps, et c’est curieux, la période actuelle est un peu le reflet des années 1970. En Corée, l’industrie cinématographique était vraiment florissante dans les années 1960. Tout d’un coup, une décennie plus tard, on s’est retrouvé avec un marché deux fois moins important, un peu comme durant la pandémie. Je trouvais aussi important d’évoquer cette époque où l’on était inondé de films de propagande et anticommunistes. La censure était très violente, mais elle n’existe plus sous cette forme. La censure politique est devenue une censure économique. Elle s’exerce désormais par la pression des investisseurs. Tout le monde se rabat sur quelque chose de sûr, qui va marcher, sans prendre le risque de l’originalité.

Entretien à retrouver dans Sofilm n°99, en kiosque.